Après 38 ans de bons et loyaux services, le CHSCT va s’éteindre à la fin de l’année. Et pourtant, les enjeux de santé au travail sont loin d’être derrière nous comme en attestent les 1 000 morts par an d’accident du travail ou de maladie professionnelle, les 100 000 morts dus à l’amiante d’ici à 2025 ou encore le procès en cours de France Telecom pour harcèlement moral institutionnalisé ayant conduit à de nombreux suicides.
En 2019, en France, le travail tue, abîme et engendre souffrance physique et psychologique.
Un tel constat pourrait amener à renforcer l’action des représentants du personnel, tant ils ont montré qu’ils étaient des acteurs incontournables de la prévention des risques professionnels. Et pourtant, l’ordonnateur a préféré supprimer le CHSCT et diluer ses prérogatives au sein du comité social et économique (CSE) en prévoyant que ce dernier pourrait, sous certaines conditions, s’appuyer sur une commission santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT). Mais la CSSCT pourra-t-elle permettre de pallier la disparition du CHSCT ? L’inquiétude est de mise lorsqu’on se penche sur les conditions de sa mise en place, qui font apparaître un choix cornélien pour les représentants du personnel.
En effet, contrairement au CHSCT dont la mise en place, les prérogatives et les moyens s’imposaient à tout employeur d’une entreprise de 50 salariés et plus, la CSSCT, mise à part quelques règles d’ordre public, se négocie avant tout. La négociation de l’accord de mise en place du CSE doit permettre de définir les contours de la CSSCT, en particulier la délégation de tout ou partie des attributions du CSE relatives à la santé, à la sécurité et aux conditions de travail (art. L. 2315-38 du Code du travail). Cette négociation place les représentants du personnel face à une équation insoluble : la tentation est grande de reconstruire le CHSCT dans la CSSCT alors que cette dernière sera par nature impuissante à agir comme le CHSCT. En somme, une délégation de pouvoirs sans pouvoir d’agir.
Le premier problème est l’évidente perte de proximité de la CSSCT puisque sa création n’est obligatoire que dans les entreprises ou établissements de 300 salariés et plus, contre 50 salariés et plus pour feu le CHSCT. Cet éloignement du terrain est particulièrement dommageable du fait du caractère spécifique de ses missions qui nécessite d’être au plus près des situations de travail des salariés.
Le premier enjeu sera donc de négocier le nombre et le périmètre d’implantation des CSSCT pour préserver cet ancrage dans l’activité concrète des travailleurs. Dans les premiers accords signés, les employeurs se montrent peu prompts à prévoir mieux qu’une CSSCT par entreprise ou établissement de 300 salariés et plus. Comment s’en étonner quand, en l’absence d’accord, cette question sera tranchée par… une décision unilatérale de l’employeur.
Une solution pourrait être d’articuler l’action de la CSSCT avec des missions confiées aux représentants de proximité… à condition qu’ils existent et en nombre suffisant… ce qui dépend d’un accord avec l’employeur… Impossible équation nous vous le disions !
Seconde difficulté, si les accords de mise en place du CSE signés jusqu’à présent prévoient en règle générale une large délégation de missions à la CSSCT, les moyens qui lui sont alloués apparaissent souvent insuffisants pour s’en acquitter. Certains accords prévoient de déléguer à la CSSCT la totalité des attributions du CSE en matière de santé, sécurité et conditions de travail. D’autres n’accordent qu’une délégation partielle en détaillant les missions, parmi lesquelles :
Les missions apparaissent disproportionnées par rapport aux moyens de la commission, qui nécessiterait des heures de délégation complémentaires conséquentes, des temps pour des réunions préparatoires propres à la CSSCT et avec le CSE, des temps pour assurer des missions spécifiques, des moyens de communication (messagerie électronique, intranet, affichage, téléphone portable, ordinateur), des moyens d’information (accès à la BDES, à de la documentation), des moyens de circulation dans l’entreprise et de réunion avec les salariés (local). Les modalités de fonctionnement de la CSSCT sont aussi importantes à négocier que ce soit sur le nombre de réunions ou sur l’élaboration de l’ordre du jour ou des comptes rendus qui ne doivent pas rester la mainmise de l’employeur ou encore sur la coordination de la CSSCT avec le CSE ou avec les représentants de proximité.
L’adéquation entre les moyens et les prérogatives de la CSSCT apparaît comme décisive mais, dans bien des cas, l’employeur subordonne les moyens à une délégation significative d’attributions par le CSE (cela est parfois même écrit explicitement dans l’accord). Or, cette délégation n’est pas sans danger… et nous retrouvons alors notre impossible équation.
La CSSCT est, et demeurera, un incapable majeur mis sous tutelle. La CSSCT n’a pas de personnalité juridique, elle ne peut donc pas agir en justice, elle ne peut pas rendre d’avis, elle ne peut pas recourir à un expert, elle ne peut pas gérer un budget, passer un contrat... Ses procès-verbaux n’ont aucune valeur légale s’ils ne remontent pas au CSE. La CSSCT n’est pas une instance, elle n’est qu’une émanation du CSE. A trop lui déléguer, le risque est d’assécher les prérogatives du CSE qui, lui, est doté de personnalité juridique et de droits, pour les confier à une CSSCT qui ne pourra jamais se substituer à lui, et qui ne pourra donc jamais remplacer le CHSCT.
Ce risque n’est pas théorique comme le prouvent certains accords de mise en place du CSE qui stipulent expressément que chaque sujet délégué à la CSSCT ne sera pas traité de nouveau en séance plénière du CSE ou que l’employeur pourra se contenter de réunir la CSSCT suite à un accident (alors qu’il est d’ordre public que ce soit le CSE qui soit réuni) ou encore en privant les élus du CSE du droit d’alerte en cas d’atteinte aux droits des personnes et de danger grave et imminent, droit confié exclusivement aux membres de la CSSCT.
Il faut donc rappeler que les dispositions légales n’imposent pas au CSE de déléguer certaines de ses missions à la CSSCT. Cette décision appartient aux élus du CSE et à eux seuls. C’est le CSE qui dispose d’une mission générale en matière de santé, sécurité et conditions de travail et toute délégation en la matière ne peut priver les membres du CSE de leurs propres attributions.
Alors que certains employeurs tentent d’utiliser la CSSCT pour empêcher de conférer aux problématiques santé au travail une place centrale dans le CSE, et négocient l’allocation de moyens en échange d’une large délégation d’attributions à la CSSCT, il convient de prendre des précautions dans la rédaction des accords ou des règlements intérieurs de CSE. Certaines formules peuvent y aider : les missions déléguées ne privent pas les membres du CSE des droits prévus aux article… Ou encore, le CSE peut récupérer l’instruction directe de sujets relevant de la compétence de la CSSCT.
Plus fondamentalement, il semble préférable de confier à la CSSCT des missions d’instruction de dossier, de préparation des points à l’ordre du jour et des avis consultatifs du CSE, d’étude des conséquences en matière de santé au travail des projets soumis à la consultation du CSE, de proposition et de motivation du recours à une expertise, d’analyse des documents officiels en matière de SSCT, mais aussi de travail de terrain pour alimenter le CSE ou encore pour explorer de nouveaux espaces d’actions (risques émergents, prise en compte des sous-traitants et travailleurs précaires, effets des méthodes de management et d’évaluation des salariés…).
Bref, une commission de travail en appui du CSE pour que ce dernier puisse porter au plus haut niveau les enjeux de santé, sécurité et conditions de travail.
Claire BLONDET, Juriste - Atlantes Paris/ Île de France
Après 38 ans de bons et loyaux services, le CHSCT va s’éteindre à la fin de l’année. Et pourtant, les enjeux de santé au travail sont loin d’être derrière nous comme en attestent les 1 000 morts par an d’accident du travail ou de maladie professionnelle, les 100 000 morts dus à l’amiante d’ici à 2025 ou encore le procès en cours de France Telecom pour harcèlement moral institutionnalisé ayant conduit à de nombreux suicides.
En 2019, en France, le travail tue, abîme et engendre souffrance physique et psychologique.
Un tel constat pourrait amener à renforcer l’action des représentants du personnel, tant ils ont montré qu’ils étaient des acteurs incontournables de la prévention des risques professionnels. Et pourtant, l’ordonnateur a préféré supprimer le CHSCT et diluer ses prérogatives au sein du comité social et économique (CSE) en prévoyant que ce dernier pourrait, sous certaines conditions, s’appuyer sur une commission santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT). Mais la CSSCT pourra-t-elle permettre de pallier la disparition du CHSCT ? L’inquiétude est de mise lorsqu’on se penche sur les conditions de sa mise en place, qui font apparaître un choix cornélien pour les représentants du personnel.
En effet, contrairement au CHSCT dont la mise en place, les prérogatives et les moyens s’imposaient à tout employeur d’une entreprise de 50 salariés et plus, la CSSCT, mise à part quelques règles d’ordre public, se négocie avant tout. La négociation de l’accord de mise en place du CSE doit permettre de définir les contours de la CSSCT, en particulier la délégation de tout ou partie des attributions du CSE relatives à la santé, à la sécurité et aux conditions de travail (art. L. 2315-38 du Code du travail). Cette négociation place les représentants du personnel face à une équation insoluble : la tentation est grande de reconstruire le CHSCT dans la CSSCT alors que cette dernière sera par nature impuissante à agir comme le CHSCT. En somme, une délégation de pouvoirs sans pouvoir d’agir.
Le premier problème est l’évidente perte de proximité de la CSSCT puisque sa création n’est obligatoire que dans les entreprises ou établissements de 300 salariés et plus, contre 50 salariés et plus pour feu le CHSCT. Cet éloignement du terrain est particulièrement dommageable du fait du caractère spécifique de ses missions qui nécessite d’être au plus près des situations de travail des salariés.
Le premier enjeu sera donc de négocier le nombre et le périmètre d’implantation des CSSCT pour préserver cet ancrage dans l’activité concrète des travailleurs. Dans les premiers accords signés, les employeurs se montrent peu prompts à prévoir mieux qu’une CSSCT par entreprise ou établissement de 300 salariés et plus. Comment s’en étonner quand, en l’absence d’accord, cette question sera tranchée par… une décision unilatérale de l’employeur.
Une solution pourrait être d’articuler l’action de la CSSCT avec des missions confiées aux représentants de proximité… à condition qu’ils existent et en nombre suffisant… ce qui dépend d’un accord avec l’employeur… Impossible équation nous vous le disions !
Seconde difficulté, si les accords de mise en place du CSE signés jusqu’à présent prévoient en règle générale une large délégation de missions à la CSSCT, les moyens qui lui sont alloués apparaissent souvent insuffisants pour s’en acquitter. Certains accords prévoient de déléguer à la CSSCT la totalité des attributions du CSE en matière de santé, sécurité et conditions de travail. D’autres n’accordent qu’une délégation partielle en détaillant les missions, parmi lesquelles :
Les missions apparaissent disproportionnées par rapport aux moyens de la commission, qui nécessiterait des heures de délégation complémentaires conséquentes, des temps pour des réunions préparatoires propres à la CSSCT et avec le CSE, des temps pour assurer des missions spécifiques, des moyens de communication (messagerie électronique, intranet, affichage, téléphone portable, ordinateur), des moyens d’information (accès à la BDES, à de la documentation), des moyens de circulation dans l’entreprise et de réunion avec les salariés (local). Les modalités de fonctionnement de la CSSCT sont aussi importantes à négocier que ce soit sur le nombre de réunions ou sur l’élaboration de l’ordre du jour ou des comptes rendus qui ne doivent pas rester la mainmise de l’employeur ou encore sur la coordination de la CSSCT avec le CSE ou avec les représentants de proximité.
L’adéquation entre les moyens et les prérogatives de la CSSCT apparaît comme décisive mais, dans bien des cas, l’employeur subordonne les moyens à une délégation significative d’attributions par le CSE (cela est parfois même écrit explicitement dans l’accord). Or, cette délégation n’est pas sans danger… et nous retrouvons alors notre impossible équation.
La CSSCT est, et demeurera, un incapable majeur mis sous tutelle. La CSSCT n’a pas de personnalité juridique, elle ne peut donc pas agir en justice, elle ne peut pas rendre d’avis, elle ne peut pas recourir à un expert, elle ne peut pas gérer un budget, passer un contrat... Ses procès-verbaux n’ont aucune valeur légale s’ils ne remontent pas au CSE. La CSSCT n’est pas une instance, elle n’est qu’une émanation du CSE. A trop lui déléguer, le risque est d’assécher les prérogatives du CSE qui, lui, est doté de personnalité juridique et de droits, pour les confier à une CSSCT qui ne pourra jamais se substituer à lui, et qui ne pourra donc jamais remplacer le CHSCT.
Ce risque n’est pas théorique comme le prouvent certains accords de mise en place du CSE qui stipulent expressément que chaque sujet délégué à la CSSCT ne sera pas traité de nouveau en séance plénière du CSE ou que l’employeur pourra se contenter de réunir la CSSCT suite à un accident (alors qu’il est d’ordre public que ce soit le CSE qui soit réuni) ou encore en privant les élus du CSE du droit d’alerte en cas d’atteinte aux droits des personnes et de danger grave et imminent, droit confié exclusivement aux membres de la CSSCT.
Il faut donc rappeler que les dispositions légales n’imposent pas au CSE de déléguer certaines de ses missions à la CSSCT. Cette décision appartient aux élus du CSE et à eux seuls. C’est le CSE qui dispose d’une mission générale en matière de santé, sécurité et conditions de travail et toute délégation en la matière ne peut priver les membres du CSE de leurs propres attributions.
Alors que certains employeurs tentent d’utiliser la CSSCT pour empêcher de conférer aux problématiques santé au travail une place centrale dans le CSE, et négocient l’allocation de moyens en échange d’une large délégation d’attributions à la CSSCT, il convient de prendre des précautions dans la rédaction des accords ou des règlements intérieurs de CSE. Certaines formules peuvent y aider : les missions déléguées ne privent pas les membres du CSE des droits prévus aux article… Ou encore, le CSE peut récupérer l’instruction directe de sujets relevant de la compétence de la CSSCT.
Plus fondamentalement, il semble préférable de confier à la CSSCT des missions d’instruction de dossier, de préparation des points à l’ordre du jour et des avis consultatifs du CSE, d’étude des conséquences en matière de santé au travail des projets soumis à la consultation du CSE, de proposition et de motivation du recours à une expertise, d’analyse des documents officiels en matière de SSCT, mais aussi de travail de terrain pour alimenter le CSE ou encore pour explorer de nouveaux espaces d’actions (risques émergents, prise en compte des sous-traitants et travailleurs précaires, effets des méthodes de management et d’évaluation des salariés…).
Bref, une commission de travail en appui du CSE pour que ce dernier puisse porter au plus haut niveau les enjeux de santé, sécurité et conditions de travail.
Claire BLONDET, Juriste - Atlantes Paris/ Île de France
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