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La plume de l'alouette
Mai 2021

DOSSIER SPÉCIAL
Surveillance des salariés : L’île de toutes les tentations pour les employeurs

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L’actualité des dernières semaines vous a probablement invité à vous interroger sur les limites qui s’imposent à l’employeur en matière de surveillance et de contrôle de l’activité du salarié. En outre, la crise sanitaire a également induit d’autres façons de travailler et tout particulièrement le recours plus important au télétravail. En juin 2020, le cabinet de consultants ISG montrait que les intentions d’achat de logiciels de surveillance à distance des salariés ont augmenté de plus de 500 % entre juillet 2019 et mars 2020 (1).

Puisque visiblement, la confiance règne, il était nécessaire de faire le tour, ensemble, de cette épineuse question.

 

Règles applicables à tous les dispositifs de surveillance des salariés

 

De quoi parle-t-on ?

La subordination induite par le lien contractuel entre un salarié et son employeur implique la possibilité pour ce dernier de surveiller et de contrôler l’activité du salarié. Dès lors, pour la Cour de cassation « Le contrôle de l’activité d’un salarié, au temps et au lieu de travail par un service interne à l’entreprise chargé de cette mission, ne constitue pas en soi, même en l’absence d’information préalable du salarié, un mode de preuve illicite » (Cass. soc., 5 nov. 2014, n° 13-18.427). Il en est de même du contrôle qui peut s’opérer via les outils professionnels comme les sms envoyés d’un téléphone professionnel (Cass. com., 10 février 2015, n° 13-14.779, n° 181).

Les règles sont différentes s’agissant de la mise en œuvre de moyens et de techniques permettant le contrôle de l’activité des salariés. Le cas échéant, certaines règles devront être observées.

 

Une atteinte proportionnée à la vie privée du salarié

Conformément à l’article L.1121-1 du Code du travail « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. »

Dès lors, les contrôles opérés devront veiller à respecter cette règle et c’est notamment ce que vérifiera le CSE.

 

 

Consultation préalable du CSE

Conformément à l’article L.2312-28 du Code du travail, le CSE est informé et consulté sur les moyens et techniques permettant un contrôle de l’activité des salariés préalablement à leur mise en œuvre dans l’entreprise. Dès lors, la Cour de cassation considère que la mise en place d’un système de vidéosurveillance ne peut pas être employé afin de surveiller l’action des salariés si le CSE n’a pas été préalablement informé (Cass. soc., 11 déc. 2019, n° 17-24179).

 

Conseil Atlantes - Les membres du CSE disposent d’un droit d’alerte (2) en cas d’atteinte aux droits des personnes, à leur santé physique et mentale ou aux libertés individuelles dans l’entreprise qui ne serait pas justifiée par la nature de la tâche à accomplir, ni proportionnée au but recherché.

 

Information préalable des salariés concernés

L’article L.1222-4 du Code du travail précise qu’« aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n’a pas été préalablement à sa connaissance. » Les dispositifs de contrôle et de surveillance doivent donc donner lieu à une information préalable du salarié.

Il en va par ailleurs de même pour les salariés affectés sur le site d’une société cliente si les dispositifs sur place sont également utilisés pour surveiller l’activité des salariés (Cass. soc., 10 janvier 2012, n° 10-23482).

 

Conseil Atlantes - En l’absence d’information préalable du salarié, ces moyens de preuves sont inopposables aux salariés (Cass. soc., 22 mai 1995, n° 93-44.078). Étant précisé qu’il s’agit le cas échéant d’une atteinte aux droits des personnes et aux libertés individuelles qui justifie pour un membre du CSE d’en demander le retrait dans le cadre de l’exercice de son droit d’alerte (Cass. soc., 10 déc. 1997, n° 95-42.661).

 

Attention aux infractions pénales, les règles sont différentes ! L’article 427 du Code de procédure pénale indique que « les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve. » La Cour de cassation précise que rien n’impose d’écarter des moyens de preuve quand bien même obtenus de façon illicite ou déloyale (Cass. crim., 6 avril 1994, n° 93-82.717).

 

Conformité au RGPD

Jusqu’au 24 mai 2018, les traitements automatisés d’informations nominatives devaient faire l’objet d’une déclaration préalable auprès de la CNIL. Cette obligation a été supprimée par le RGPD (Règlement général sur la protection des données - Règlement n° 2016/679 du 27 avril 2016).

 

NB : La CNIL n’a pas pour autant disparu mais elle opère désormais un contrôle a posteriori sur les traitements opérés par l’entreprise et leur conformité aux dispositions nationales et européennes. Ces contrôles pourront donner lieu à des sanctions administratives voire pénales.

Lors de la mise en œuvre d’un tel dispositif, les principes posés par le RGPD devront toutefois être observés :

• Le principe de finalité. Les données sont collectées pour un usage déterminé, explicite et légitime.

• Le principe de proportionnalité et de minimisation.

• Le principe d’une conservation des données limitée dans le temps en fonction de la finalité poursuivie.

• Un droit à une rectification lorsque les données sont personnelles et inexactes.

• Un droit d’opposition sauf s’il existe des motifs légitimes et impérieux.

• Un droit d’accès du salarié aux données le concernant.

 

Conseil Atlantes - Conformément à l’article 15 du RGPD, chaque salarié dispose de la possibilité d’obtenir de l’employeur la transmission des données personnelles le concernant sans avoir à justifier sa demande. Il peut également connaître les finalités du traitement, les destinataires de ces données et la durée de conservation des données ou, lorsque ce n’est pas possible, les critères utilisés pour déterminer cette durée. Le responsable du traitement est tenu de répondre aux demandes émanant de la personne concernée dans les meilleurs délais et au plus tard dans un délai d’un mois.

 

Focus sur les dispositifs de surveillance utilisés par les entreprises

 

La vidéosurveillance des salariés

L’atteinte doit être proportionnée au but recherché. En la matière, la CNIL considère que le recours à ce type de dispositif est justifié dans des circonstances particulières (notamment les salariés manipulant des biens ou de l’argent) et ne doit pas filmer les zones de pause, de repos ou les locaux syndicaux.

Dans une affaire qui a donné lieu à une décision de la CNIL en 2019, l’employeur avait installé deux caméras filmant en continu un poste de travail correspondant à la caisse du magasin et à un emplacement pour la préparation de commandes, non ouvert au public ; une caméra filmant une zone non ouverte au public correspondant à un couloir desservant plusieurs bureaux de salariés. L’employeur consultait les images à distance. Pour la CNIL, un tel dispositif de vidéo-surveillance conduit à placer le salarié occupant le poste concerné « sous surveillance permanente », considérant que « Si l’utilisation du dispositif vidéo à des fins de prévention des atteintes aux biens et aux personnes peut être considérée comme légitime, tel n’est pas le cas de la localisation des salariés par le gérant à des fins de surveillance. » (3)

La CNIL précise par ailleurs que la possibilité offerte de regarder les images à distance ne doit pas conduire à surveiller ses employés et à formuler des remarques sur la qualité du travail. La consultation des images doit se faire par des personnes habilitées par l’employeur. Il revient à l’employeur de définir la durée de conservation en lien avec l’objectif poursuivi. Cette durée ne doit pas dépasser un mois.

L’employeur ne pourra donc transformer la vie des salariés en lugubre émission de téléréalité et devra justifier, notamment au CSE, des nécessités de l’étendue du dispositif (4).

 

Webcam et Keyloggers dans le cadre du télétravail 

Pour contrôler l’activité des salariés, tous les moyens sont bons et sans même parfois qu’il soit nécessaire de se doter de nouveaux outils.

Dans un questions-réponses du 12 novembre 2020, la CNIL a répondu à certaines interrogations qui se posent sur le télétravail et notamment concernant la surveillance des salariés. Elle évoque certains dispositifs existants et sa réponse est sans équivoque : c’est NON.

La CNIL s’est prononcée sur :

• La surveillance vidéo constante au moyen d’une webcam.

• Le partage permanent de l’écran.

• L’utilisation de « keyloggers » à savoir des logiciels qui enregistre les frappes sur le clavier.

• L’obligation faite au salarié de démontrer à intervalles réguliers sa présence via une application dédiée.

Pour la CNIL, il s’agit de procédés particulièrement invasifs qui s’analysent en une surveillance permanente et disproportionnée.

 

NB : La CNIL préconise une adaptation des méthodes d’encadrement qui pourra passer par un contrôle de la réalisation des objectifs ou la demande d’un compte rendu aux salariés par exemple. (5)

 

Les systèmes de géolocalisation 

Il s’agit là de dispositifs permettant la localisation des personnes ou des véhicules professionnels. Il peut s’agir d’un dispositif autonome ou d’un téléphone portable.

Pour la CNIL, la géolocalisation ne peut être installée que pour les motifs suivants :

• Suivre, justifier et facturer une prestation de transport de personnes.

• Assurer la sécurité de l’employé, des marchandises ou des véhicules (en cas de vol par exemple).

• Mieux allouer des moyens pour des prestations à accomplir.

• Respecter une obligation légale ou réglementaire. 

• Contrôler le respect des règles d’utilisation du véhicule.

• Accessoirement, suivre le temps de travail, lorsque cela ne peut être réalisé par un autre moyen.

 

Conseil Atlantes - Pour la Cour de cassation, un dispositif de géolocalisation ne peut être installé que lorsque ce contrôle ne peut pas être fait par un autre moyen et à la condition que les salariés concernés ne disposent pas d’une liberté dans l’organisation de leur travail (Cass. soc., 18 janv. 2018, n° 16-20.618), comme cela peut être le cas pour un VRP ou un élu par exemple. La Chambre sociale a également pu considérer que le système de géolocalisation devait être le « seul moyen permettant d’assurer le contrôle de la durée du travail » (Cass. soc., 19 déc. 2018, n° 17-14.631,n° 1844). Lors de sa consultation, le CSE peut proposer des solutions alternatives (système autodéclaratif, contrôle par un responsable…).

En principe, les informations obtenues par la géolocalisation ne doivent pas être conservées plus de deux mois, et cinq ans s’agissant des données utilisées pour le suivi du temps de travail. En tout état de cause les salariés doivent avoir accès aux données collectées (6).

 

Le recours à un détective privé 

Si la tentation peut exister d’externaliser une formule de surveillance rapprochée particulièrement intrusive, la Cour de cassation a posé très tôt le principe de l’illicéité de la preuve obtenue par le recours à un détective privé (Cass. soc., 22 mai 1995, n° 93-44078 / Cass. soc., 17 mars 2016, n°15-11.412). Une solution identique a par ailleurs été retenue concernant
l’envoi de lettres piégées (Cass. soc., 4 juill. 2012, n° 11-30.266).

Ce procédé étant attentatoire à la vie privée du salarié, il caractérise un comportement déloyal justifiant l’octroi de dommage et intérêts (Cass. soc., 26 sept. 2018, n° 17-16.020).

 

Courriels, messageries instantanées et réseaux sociaux : le nouvel eldorado disciplinaire ?

À la frontière de la vie privée protégée par la jurisprudence, la permissivité de certains outils de communication place les salariés dans un risque juridique à notre sens encore trop peu considéré. En matière de courriel, les règles applicables se sont inscrites dans la logique jurisprudentielle applicable aux correspondances par courrier. Ne peuvent dès lors justifier un licenciement :

• Des courriels issus de la messagerie électronique personnelle du salarié (Cass. soc., 26 janv. 2016, n° 14-15.360).

• Des courriels issus de la messagerie professionnelle comportant en objet la mention « personnel » (Cass. soc., 2 oct. 2001, n° 99-42.942). Faute de mention, ils peuvent donc être ouverts (Cass. soc., 16 mai 2013, n° 12-11.866).

En revanche, on peut s’interroger sur le sort des messageries instantanées professionnelles dont l’ergonomie fait souvent oublier qu’il s’agit-là d’un outil réservé à ce cadre. Comment identifier qu’il s’agit d’échanges per-sonnels entre salariés ? En tout état de cause, en l’état du droit faute de mention, les échanges pourraient être à notre sens produits à l’appui d’une procédure disciplinaire.

Concernant les réseaux sociaux, les problématiques sont de deux ordres : le caractère public des propos fautifs et le temps qui peut y être consacré (7).

 

Les outils permettant une surveillance de l’activité des salariés sont nombreux et méritent une attention toute particulière des CSE comme des salariés. En outre, il convient de se rappeler que ces outils attentatoires à la vie personnelle du salarié peuvent être source de risques psychosociaux RPS pour les salariés.

 

(1) Étude réalisée par le cabinet ISG

(2) Tout savoir sur le droit d’alerte et la procédure applicable

(3) Décision MED-2019-025 du 5 novembre 2019

(4) La vidéosurveillance-vidéoprotection au travail du 27 nov. 2019

(5) CNIL Questions-réponses sur le télétravail du 12 nov. 2020

(6) CNIL La géolocalisation des véhicules des salariés du 25 juillet 2018

(7) Pour en savoir plus sur le sujet

 

Maxence DEFRANCE / Juriste - Atlantes Paris/Île-de-France

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Mise à jour :mercredi 17 avril 2024
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