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La plume de l'alouette
Janvier 2024

Utilisation des Réseaux Sociaux

Au cours de la dernière décennie, l’utilisation des réseaux sociaux s’est développée à une vitesse exponentielle, faisant de ces derniers un outil de communication majeure des individus, devenant ainsi un vecteur de la liberté d’expression.

Mais l’utilisation des réseaux sociaux peut conduire à certaines dérives, qui n’échappent pas au monde professionnel. Se pose donc la question de savoir si un employeur pourrait licencier un salarié en raison de propos tenus sur les réseaux sociaux.

 

LES RéSEAUX SOCIAUX : PLATEFORME DES DROITS ET LIBERTéS DU SALARIé SOUMISE AU CONTRôLE DE L’EMPLOYEUR

Tout salarié, dans le cadre de sa vie privée et professionnelle, peut être amené à utiliser les réseaux sociaux pour exprimer une opinion, partager une actualité, ou pour exposer à la vue de certains un moment de sa vie privée.

Cette utilisation se trouve alors au carrefour du droit au respect à la vie privée, au secret des correspondances, ou encore au respect de la liberté d’expression, qui n’échappent pas à l’employeur.

S’agissant de la liberté d’expression, celle-ci est protégée par l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme ainsi que l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.

Quant au droit au respect à la vie privée, l’article 9 du code civil dispose que « chacun a droit au respect de sa vie privée » , principe essentiel en droit français à valeur constitutionnelle qui interdit l’immixtion dans la vie privée de « toute personne, quels que soient son rang, sa naissance, sa fortune, ses fonctions présentes ou à venir »1.

Cette utilisation peut néanmoins faire l’objet d’un contrôle de la part de l’employeur. Mais encore faut-il que les propos du salarié aient été rendus public. Le cas de Facebook nous permet d’illustrer ce propos.

En effet, la jurisprudence de la Cour de cassation rappelle avec une constance assidue que l’employeur ne peut pas valablement se prévaloir des éléments publiés par un salarié sur son compte privé Facebook accessible seulement à des personnes habilitées2.

Dans cette affaire, étaient en cause des propos injurieux et offensant émis par une salariée à l’encontre de sa Direction dans le cadre d’un compte privé Facebook accessible uniquement à 14 personnes. La Cour de cassation a relevé que les informations de ce groupe n’étaient accessibles qu’à des personnes habilitées par la salariée elle-même :
il constituait en conséquence un groupe fermé et la conversation était dès lors de nature privée. L’employeur ne pouvait donc pas en prendre connaissance et utiliser les propos qui s’y étaient tenus à l’encontre de la salariée. De tels propos,
tenus dans le cadre d’un réseau social en accès restreint, relevant de la sphère privée, ils étaient dès lors protégés au titre du respect de la vie privée de la salariée.

D’ailleurs, il peut ne pas s’agir de propos tenus par le salarié :
l’emploi des mentions « J’aime » sur les réseaux sociaux, qui pourrait être considéré comme un moyen d’afficher un intérêt ou une approbation pour un contenu, constitue bien, en tant que tel, une forme courante et populaire d’exercice de la liberté d’expression en ligne3.

Dans cette affaire, une salariée de l’Éducation nationale avait été licenciée après avoir aimé des contenus formulant des critiques politiques virulentes dirigées contre les pratiques répressives alléguées des autorités. La Cour nous dit que les juges auraient dû regarder si le profil de la salariée était accessible au public et aurait dû examiner l’impact des « j’aime » sur les élèves, les professeurs et autres employés.

À l’inverse, lorsque les propos ou publications litigieuses sont publics et donc accessibles à l’employeur, il peut valablement les utiliser à l’encontre de son auteur dès lors que leur accès n’est pas bloqué. En effet, le salarié ne peut pas se prévaloir du secret des correspondances pour contester la sanction prise à son encontre, alors même qu’il n’a pas pris la peine de limiter l’accès à son profil. Dans un tel cas de figure, les juges doivent examiner si le salarié a abusé ou non de sa liberté d’expression4.

 

Au regard de ces principes, on pourrait penser que le droit au respect de la vie privée du salarié le protège contre toute sanction dès lors que ses propos ont été tenus sur un compte en accès restreint.

Pour autant, tel n’est pas le cas.

Conseil Atlantes

 

LE DROIT AU RESPECT DE LA VIE PRIVéE DU SALARIé
CONFRONTé AU DROIT à LA PREUVE DE L’EMPLOYEUR

Depuis quelques années, on constate un infléchissement de la jurisprudence, qui jusqu’à présent était attachée à rejeter sans condition les atteintes faites à la vie privée du salarié.

Bien que la jurisprudence ne remette pas en cause l’atteinte à la vie privée, elle est toutefois venue préciser5 que cette atteinte par l’employeur pouvait être justifiée devant les tribunaux, sous deux conditions :

• elle est indispensable à l’exercice de ce droit et doit être proportionnée au but poursuivi ;

• la preuve a été obtenue loyalement.

NB

Dans deux affaires récentes6 relatives à des infirmières licenciées pour faute grave, la Cour de cassation est venue rappeler ce raisonnement : l’employeur leur reprochait d’avoir introduit et consommé de l’alcool à plusieurs reprises au sein de l’hôpital, organisé des festivités pendant le temps de travail, ce qui a conduit à des mauvais traitements infligés à des patients. Il leur reprochait également d’avoir participé à une séance photo en maillot de bain au temps et sur le lieu de travail.

Pour établir ces reproches aux salariées, l’employeur produisait notamment des photographies et messages échangés sur le réseau social Messenger, réseau privé : la Cour de cassation a estimé que ces éléments de preuve étaient recevables, et le licenciement pour faute grave fondé.

Conseil Atlantes

Ainsi, bien que la liberté du salarié et sa vie privée fassent l’objet d’un arsenal juridique important, l’utilisation par ces derniers des réseaux sociaux n’est pas sans conséquence.

Le droit à la preuve vient considérablement apporter une limite aux droits des salariés, démontrant que ce droit reste évolutif.

 

Samuel Bencheikh/ Juriste – Paris

 

1 - Cass. civ. 1ère, 23 oct. 1990, 89-13.163.

2 - Cass. soc., 12 sept. 2018, n° 16-11.690.

3 - CEDH, 15 juin 2021, n° 35786/19.

4 - Cass. soc., 30 sept. 2020, n°19-10.123. Cass. civ., 1ère civ., 10 avr. 2013,
 n° 11-19.530.

5 - Cass. soc., 30 sept. 2020, n° 19-12.058

6 - Cass. soc., 4 oct. 2023, n° 21-25.452 F-D et 22-18.217 F-D.

 

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Mise à jour :mercredi 17 avril 2024
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