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Plume septembre 2021

ÉDITO

Pour les entreprises qui avaient organisé les élections nouvelle formule dès début 2018 pour une durée de mandat de trois à quatre ans (ce qui est plutôt la norme), va s’ouvrir le temps des renégociations en vue des prochaines élections et surtout, à notre sens, celui de l’analyse de vos pratiques depuis la création du CSE et des dysfonctionnements et carences associés, de votre organisation interne et des rapports avec la direction de l’entreprise.

Le recul sur le vécu et la réalité du CSE, nous l’avons, vous l’avez ! Certains des accords de fonctionnement à durée indéterminée qui ont pu être conclus prévoyaient une clause de revoyure, conscients de l’originalité et des difficultés éventuelles à faire fonctionner cette nouvelle institution fusionnant les trois historiques : il faut s’en saisir.

De même pour tous ceux qui n’ont ni accord de fonctionnement, ni clause de revoyure.

Avant de s’engager dans les nouvelles négociations a minima sur le protocole d’accord préélectoral (PAP), il nous apparaît fondamental de :

- Vous réapproprier votre accord de fonctionnement s’il existe, l’expérience montre que négocié par les délégués syndicaux, tous les élus n’en ont pas nécessairement une connaissance précise.

- Dresser entre élus, membres des commissions, représentants de proximité et délégués syndicaux une cartographie précise des points forts/faibles, des dysfonctionnements et points à améliorer, des documents de synthèse à élaborer, des rôles et relations entre les différents intervenants et élus afin de construire une proposition argumentée.

Nous l’avons toujours dit : pour que le CSE fonctionne, il faut que vous soyez organisés. Les négociations en vue des prochaines élections ne font pas exception.

Je vous inciterai même à être d’autant plus vigilants que la crise sanitaire « est passée par-là » avec son lot de dérives inacceptables dans le fonctionnement des CSE qui ne doit pas perdurer au risque de dénaturer l’institution, voire de décourager des candidats et les salariés.

Sur ce chemin, nous sommes bien évidemment à votre disposition à vos côtés.

Bonne rentrée à vous tous.

 

 

Evelyn BLEDNIAK / Avocat associée

DOSSIER SPÉCIAL

Nouvelle mandature, nouveaux budgets, redressement Urssaf, profil des bénéficiaires qui évolue… De nombreux événements sont susceptibles de conduire le CSE à construire, ou à reconstruire, sa politique en matière d’activités sociales et culturelles (ASC). De nombreuses questions s’imposent alors : quelles activités sociales et culturelles choisir ? Quels critères retenir ? Comment se mettre en conformité avec les impératifs Urssaf et légaux ? Comment gérer la transition entre les anciennes activités et les nouvelles ? Par où commencer ? L’objectif étant de proposer une offre adaptée au budget de l’instance et sans risque pour le CSE, plusieurs étapes incontournables sont à réaliser. 

Étudier la population des bénéficiaires

Avant de prendre contact avec les divers prestataires, le CSE doit rechercher des prestations qui pourraient correspondre aux profils des salariés. L’idée est alors de trouver un juste équilibre entre la population de l’entreprise et l’utilisation du
budget social. À cet effet, il est intéressant d’étudier la population de l’entreprise :

  • Les salariés ayant des enfants sont-ils majoritaires ?
  • Quelle est la tranche d’âge majoritaire au sein du personnel ?
  • Les salariés sont-ils disséminés géographiquement sur tout le territoire ? …

Cette première étape permettra ainsi au CSE de pouvoir recentrer ses recherches sur le choix des activités.

 

Associer les salariés à certains choix

S’il est évidemment impossible de satisfaire l’ensemble des salariés, il peut être opportun dans une certaine mesure et à certaines occasions de sonder les salariés sur leurs préférences : inviter les salariés à voter entre deux activités déjà présélectionnées par le CSE, questionnaire sur la satisfaction d’une activité déjà réalisée, choix entre deux destinations de voyage…

 

Conseil Atlantes - Il sera toujours préférable d’envisager des questions fermées ou à choix multiples pour interroger les salariés. En outre, il n’est pas nécessairement pertinent, pour l’organisation interne du CSE, d’interroger chaque année les salariés sur l’ensemble de la politique ASC.

Bénéficiaires des ASC : établir une liste adaptée 

 Pour être en conformité avec les impératifs légaux et ceux énoncés par l’Urssaf, veiller à créer une liste des bénéficiaires qui n’est pas discriminatoire. Pour rappel, les ASC doivent être prioritairement réservées aux salariés ou à leur famille

(art. L. 2312-78 et R. 2312-35 du Code du travail).

Tous les salariés doivent pouvoir en bénéficier quelle que soit la nature de leur contrat de travail (CDI, CDD, contrats aidés) et la durée de travail à laquelle ils sont soumis (temps partiel, temps complet). Les salariés en période d’essai, en préavis, ou dont le contrat est suspendu (congés de maladie, de maternité…) doivent également pouvoir bénéficier des ASC (Rép.min. n°84460 : Joan Q 13 déc. 2011, p.13125). Les stagiaires, bien que n’étant pas des salariés, sont également inclus dans le champ des bénéficiaires sous réserve éventuellement d’une condition d’ancienneté raisonnable appliquée de la même façon pour tous les salariés.

Le CSE peut également choisir d’étendre le bénéfice des activités à la famille des salariés. Quelles sont les règles ?

  • Si le CSE souhaite étendre au conjoint : la notion de « conjoint » comprend bien entendu l’époux ou l’épouse, mais également le/la concubine ainsi que le/la partenaire d’un Pacs (délib. Halde 2009-132 du 30 mars 2009).
  • Si le CSE souhaite étendre aux enfants, il est primordial de bien définir la notion d’enfant. Étant rappelé que la Halde avait considéré dans une décision de 2009 que le fait pour un CSE (CE à l’époque) de ne prendre en compte que les enfants de salariés ayant un lien de filiation constitue une pratique discriminatoire. Il conviendra d’être vigilant le cas échéant sur les documents demandés aux salariés.

L’Urssaf tolère que les enfants du conjoint puissent faire partie des bénéficiaires des ASC dans les mêmes conditions que les enfants du salarié.

 

Créer des critères de modulation non-discriminatoires

La notion de « non-discrimination » ne doit pas être confondue avec la notion de stricte « égalité ». Les activités sociales du CSE doivent bénéficier à l’ensemble des salariés, mais pas nécessairement selon les mêmes modalités.

Ainsi, il est possible de moduler l’octroi d’une activité sociale et culturelle, en s’appuyant sur un critère prédéterminé, objectif et non discriminatoire de distinction.

Ces critères ne devant pas être discriminants, ils ne peuvent s’appuyer par exemple sur la catégorie professionnelle, le coefficient hiérarchique, l’affiliation à un syndicat.

À l’heure actuelle, est admise la modulation des prestations du CSE établie en fonction des revenus et du quotient familial (délibération CNIL n°2006-230).

 

Interroger l’Urssaf en cas de doute 

Face à certains doutes relatifs aux conditions d’octroi des activités sociales, le CSE peut demander la position de l’Urssaf, par le biais de la procédure de rescrit social.

Le rescrit est une procédure qui permet à un cotisant de demander à l’Urssaf de prendre position sur une situation concernant des points de droit qui posent difficulté (art. L.243-6-3 du Code de Sécurité sociale).

Le rescrit doit intervenir par écrit et en amont d’un contrôle Urssaf, après il sera trop tard (art. L.243-6-3 I du Code de Sécurité sociale).

Un formulaire de demande à compléter en ligne est disponible sur le site de l’Urssaf. L’Urssaf répond de manière motivée dans un délai de trois mois courant à compter de la date de réception du dossier complet par le cotisant.

  • Si l’Urssaf répond et que le CSE suit ce positionnement, il pourra opposer cette interprétation en cas de contrôle.
  • Si l’Urssaf ne répond pas dans les délais, il ne pourra effectuer de redressement sur le point de législation visé.

Valider de façon transparente le choix des activités

 Le CSE est libre de déterminer la politique sociale et culturelle qu’il entend promouvoir. Toutefois, le CSE doit choisir les prestations proposées dans le cadre d’une délibération du comité prise en réunion plénière. Le vote sera à la majorité des élus titulaires présents et le président ne participera pas à celui-ci.

Deux méthodes sont généralement pratiquées par les CSE :

  • Vote d’un budget prévisionnel définissant précisément les prestations prévues pour l’année entière, leurs conditions et les bénéficiaires.
  • Vote activité par activité, c’est-à-dire décision « au coup par coup ».

 

Choisir avec attention ses prestataires et sécuriser son choix 

Bien que cela ne soit pas obligatoire légalement (sauf pour les « grands CSE » qui doivent mettre en place une commission des marchés si la prestation dépasse 30 000 Ä), la réalisation d’un appel d’offres est conseillée. Ceci permet d’avoir une vision plus large des prestataires existants pour la prestation voulue. La sécurisation passe ici par la vérification du processus d’engagement du CSE :

  • Le CSE a-t-il bien décidé en tant que personne morale de s’engager contractuellement ?
  • Qui est compétent pour signer le contrat ?

 

Conseil Atlantes - Ces questions sont intéressantes dès lors que le défaut de pouvoir du signataire peut entraîner la nullité du contrat conclu. Mais il faut également vérifier la portée de l’engagement du CSE : le coût total, la durée mais également les conditions de résiliation de la prestation.

Pour rappel : si votre contrat prévoit une reconduction tacite, le prestataire doit vous informer de la possibilité de ne pas reconduire le contrat conclu et de la date limite de non-reconduction, à défaut, le CSE peut mettre fin au contrat. N’hésitez pas à vous faire aider par notre cabinet d’avocat pour cette vérification.

 

Communiquer avec pédagogie avec les salariés  

Afin de bien informer les salariés de leurs droits et des conditions d’octroi des activités sociales et culturelles, nous vous conseillons de prévoir de mettre à leur disposition un « guide des activités sociales et culturelles du CSE » regroupant :

  • les bénéficiaires des activités sociales,
  • les conditions d’octroi (éventuelle condition d’ancienneté, justificatifs à fournir…),
  • la finalité des règles fixées par le CSE et le caractère confidentiel des éléments communiqués.

Pour plus de sécurité juridique, il est conseillé de voter un tel document et de l’annexer au règlement intérieur du CSE afin de prévenir tout litige.

 

Anissa CHAGHAL / Juriste - Atlantes Paris/Île de France

Camille PIAT / Avocate

VRAI/FAUX

L’employeur doit transmettre au CSE le registre unique du personnel

FAUX. Tout établissement dans lequel des salariés sont

employés doit tenir un registre unique du personnel. Pour chaque salarié occupé dans l’établissement, ce document contient son nom, prénoms, nationalité, date de naissance, sexe, emploi et qualification, dates d’entrée et de sortie de l’établissement. En revanche, s’il est possible pour les membres du CSE d’avoir accès à ce document ils ne peuvent exiger la transmission ou la copie d’un tel document. En outre, s’agissant de
données personnelles, la transmission d’un tel document pourrait poser problème au regard du RGPD.

 

Il existe un registre spécifique aux dangers graves et imminents dans l’entreprise

 VRAI. Le représentant du personnel au CSE qui utilise son droit d’alerte, doit immédiatement aviser l’employeur et consigner cet avis par écrit dans le registre des dangers graves et imminents. Il est daté et signé, et comporte l’indication :

- du ou des postes de travail concernés,

- de la nature du danger et de sa cause,

- le nom du ou des salariés exposés.

Ce document également consultable par le CSE permet de recenser tous ces avis, et constitue une source d’informations intéressantes pour le CSE, dans le cadre de ses missions en santé, sécurité et conditions de travail.

L’employeur a l’obligation d’inscrire chaque accident du travail (grave ou bénin) dans un registre dédié

FAUX. L’employeur a uniquement l’obligation de déclarer l’accident à la CPAM dans les 48 heures. Néanmoins, pour les accidents bénins sans arrêt de travail ni soins médicaux, il peut remplacer cette déclaration par une inscription sur un registre spécial.

Depuis le 1er mai 2021, l’autorisation préalable pour tenir un registre de déclaration des accidents du travail accordée par la Carsat n’existe plus. L’employeur devra observer les règles suivantes :

- la présence permanente d’une personne qualifiée (ex : infirmier ou médecin),

- l’existence d’un poste de secours d’urgence,

- le respect par l’employeur de ses obligations légales concernant la constitution d’un CSE.

 

Info Atlantes - L’employeur qui a un tel registre doit en aviser le CSE et le tenir à sa disposition (C. Séc. soc., art. L. 441-4).


L’employeur a l’obligation de tenir un registre faisant état du nombre annuel de ruptures conventionnelles 

FAUX. En revanche, l’employeur doit établir dans les entreprises de plus de 300 salariés un bilan social, dans lequel figureront :

• Nombre de démissions

• Nombre de licenciements pour motif économique, dont départs en retraite et préretraite

• Nombre de licenciements pour d’autres causes

• Nombre de fins de contrats de travail à durée déterminée

• Nombre de départs au cours de la période d’essai 

• Nombre de mutations d’un établissement à un autre 

• Nombre de départs volontaires en retraite et préretraite 

Le CSE doit recevoir ce document dans le cadre de la consultation sur la politique sociale et les conditions de travail de l’entreprise.

 

Il est obligatoire pour l’entreprise d’établir un registre de traitement des données personnelles des salariés 

VRAI ET FAUX. Cela dépend de la taille de l’entreprise. Pour se conformer au RGPD (règlement général sur la protection des données), les entreprises occupant 250 employés et plus doivent tenir un registre des activités de traitement, complet et à jour.

Chaque salarié doit être informé de ses droits concernant l’accès et la copie, la rectification, l’effacement, la limitation, l’opposition et la portabilité de ses données personnelles.

 

Quid du CSE ?

Le CSE qui collecte des données personnelles doit lui aussi créer un registre de traitement des données.

Pour chaque activité recensée qui collecte des données personnelles, il faut préciser :

- la finalité du traitement,

- les catégories de données utilisées (exemples : nom, prénom, date de naissance, salaire…)

- les personnes ayant accès aux données,

- la durée de conservation de ces données.

 

Anissa CHAGHAL / Juriste - Atlantes Paris/Île de France

JURISPRUDENCE ATLANTES

Dans cette affaire, une direction entendait décompter les heures de réunions plénières de CSE sur les temps alloués aux réunions des commissions du CSE puis une fois ces temps épuisés sur les heures de délégation des membres du comité.

Pour soutenir son propos, elle se basait sur la rédaction alambiquée des articles L2315-11 et R2315-7 du Code du travail relatifs aux temps de délégation dont elle tirait une interprétation toute personnelle.

Pour rappel, ces derniers prévoient que :

Article L2315-11 :

Est également payé comme temps de travail effectif le temps passé par les membres de la délégation du personnel du comité social et économique.

2e  : Aux réunions du comité et de ses commissions, dans ce cas dans la limite d’une durée globale fixée par accord d’entreprise ou à défaut par décret en Conseil d’État.

Article R2315-7 :

À défaut d’accord d’entreprise, le temps passé par les membres de la délégation du personnel du comité social et économique aux réunions mentionnées au 2e de l’article L. 2315-11 n’est pas déduit des heures de délégation prévues à l’article
R. 2314-1 dès lors que la durée annuelle globale de ces réunions n’excède pas 30 heures pour les entreprises de 300 à 1000 salariés, 60 heures pour les entreprises d’au moins 1000 salariés. Cette rédaction interpelle et notamment sur ce qu’il fallait comprendre par « dans ce cas ».

 

Concrètement les plafonds d’heures mentionnés s’appliquent-ils à toutes les réunions du CSE et de ses commissions comme le soutenait la direction ou aux seules réunions des commissions comme le soutenait le CSE ?

C’est à cette question qu’à dû répondre le Tribunal judiciaire de Lyon saisi en référé par le CSE.

Au soutien de son propos, le CSE se basait sur de nombreux éléments :

Sur le fait que par principe et depuis de longue date, le temps passé en réunion plénière par les représentants du personnel (CE, DP, CHSCT) avec la direction de l’entreprise est payé comme du temps de travail effectif sans être déduit des heures de délégation des élus et que le législateur n’a pas entendu modifier cette règle dans les ordonnances de 2017.

Sur la position du Conseil constitutionnel qui, dans sa décision du 21 mars 2018 n°2018-761, précisait que les plafonds d’heures renvoyaient au « dernier cas » soit, aux seules commissions : « 54. En second lieu, en application de l’article L. 2315-11 du Code du travail, le temps passé, par les membres de la délégation du personnel du comité social et économique, « à la recherche de mesures préventives dans toute situation d’urgence et de gravité » et « aux enquêtes menées après un accident du travail grave ou des incidents répétés ayant révélé un risque grave ou une maladie professionnelle ou à caractère professionnel grave » est considéré comme du temps de travail effectif et n’a pas à être déduit du quota d’heures de délégation des membres titulaires. Il en va de même du temps passé aux réunions du comité social et économique et de ses commissions. Si, dans ce dernier cas, le 2e de l’article L. 2315-11 fixe une limite à ce principe, sous forme d’un plafond d’heures au-delà duquel le temps passé à ces réunions est déduit des heures de délégation, ces dispositions ne privent pas les représentants du personnel des moyens nécessaires à l’exercice de leur mission. »

Toute autre interprétation conduirait à empêcher le CSE de fonctionner et d’exercer ses prérogatives dans et en dehors des réunions.

Conclusion de cette affaire, aux termes d’une ordonnance de référé du 7 juin 2021 (n° 21/00504), le Tribunal donne raison au CSE par une décision simple et limpide, véritable leçon de français. Il considère que les textes sont clairs et que les termes « dans ce cas » ne peuvent se référer qu’aux réunions des commissions du CSE. Il rappelle également que « la législation prévoit donc que le temps passé en réunion plénière du CSE n’est pas concerné par la limitation horaire ». En conséquence, il rejette les arguments de la direction et considère que sa pratique de décompte des temps de réunions plénières cause un trouble manifestement illicite au fonctionnement du CSE.

Cette décision, la première à notre connaissance sur ce thème, confirme la position quasi unanime de la doctrine sur le sujet ainsi que celle de l’inspection du travail, du gouvernement et du Conseil constitutionnel.

Nous ne pouvons qu’espérer que les directions ne se risqueront plus à attaquer les CSE sur ce terrain.

 

 

Justin Saillard-Treppoz / Juriste - Responsable régional Aura

DANS L’ACTU

La question du fait religieux en milieu professionnel « sent la poudre » pour reprendre les mots du doyen Jean Rivero. Provoquant débats passionnés et passionnants, mobilisant les concepts de laïcité et de neutralité, la religion demeure un sujet sensible dans le monde du travail et ce d’autant plus que les règles applicables diffèrent entre les salariés du privé et les agents publics.

Nous faisons le point sur les règles applicables à cette problématique lourde d’enjeux avec maîtres Diego Parvex et Franck Carpentier.

 

Quelle distinction peut-on faire entre laïcité et neutralité ?

 

Diego Parvex : La laïcité est un principe juridique d’acception assez large qui ne s’applique pas directement en droit du travail. Inscrite à l’article 1 de la Constitution, la laïcité vise à garantir à chacun la liberté de conscience et de religion ainsi que l’égalité stricte devant la loi, indépendamment de ses convictions personnelles.

Franck Carpentier : Afin de garantir cette égalité de tous les usagers, le droit de la fonction publique fait très volontiers appel au principe de neutralité. Ce dernier interdit aux agents de manifester leurs convictions personnelles, quelles qu’elles soient : économiques, philosophiques mais aussi religieuses. Ainsi, la neutralité religieuse qui s’impose aux agents publics – mais aucunement aux usagers du service public – est l’expression du principe de laïcité en matière de fonction publique.

 

Existe-t-il un principe général de neutralité religieuse applicable au monde du travail ?

 

DP : Dans le secteur privé non. Le principe est en effet celui de la liberté. Une entreprise peut donc avoir un caractère religieux. Il s’agit là d’une stricte expression du principe de laïcité : le droit français permet aux entreprises de reposer sur une éthique qu’elles estiment fondamentales. On les qualifie d’entreprises de tendance. Ce faisant, il existe des entreprises à caractère qui, en raison de cette éthique expressément affichée, vont pouvoir demander aux personnes qu’elles recrutent de partager ces valeurs.

FC : C’est une situation qui ne se retrouve pas dans le secteur public où le statut général de la fonction publique impose à

l’ensemble des agents, conformément à la Constitution française, se voient imposé une neutralité religieuse absolue à laquelle l’Etat est lui-même tenu.

 

Est-il possible d’interdire le port de signes religieux au travail ?

 

DP : Dans une entreprise, la réponse de principe est négative. Les salariés peuvent librement afficher leurs convictions philosophiques ou religieuses. Le port d’un couvre-chef, d’une médaille ou d’un vêtement témoignant d’une appartenance confessionnelle est autorisé. Un employeur qui interdirait à un salarié de porter un tel insigne, au seul motif qu’il témoignerait d’une obédience religieuse, commettrait une discrimination. Ce n’est que par exception, pour des raisons de
sécurité ou en cas de contact avec la clientèle que l’employeur peut alors légitimement interdire au salarié la manifestation de sa confession. En ce sens, l’article L.1321-2-1 du Code du travail prévoit que le règlement intérieur peut désormais contenir l’affirmation d’un principe de neutralité sous réserve que celui-ci soit justifié par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise ou proportionné au but recherché.

FC : Le service public obéissant au principe de neutralité, les agents se voient systématiquement interdire le port de signes religieux. Au temps du service, la neutralité est donc absolue.

 

Peut-on parler de sujets religieux au travail ?

 

DP : Ici encore, la liberté est le principe. Les salariés de l’entreprise peuvent donc librement échanger sur des questions à caractère philosophique ou religieux sans encourir un risque de sanction disciplinaire. Comme souvent en droit, seul l’abus est sanctionné : le prosélytisme est ainsi interdit et justifie l’exercice du pouvoir disciplinaire de l’employeur.

FC : Sur cette thématique, la fonction publique se montre également très stricte. Si les usagers du service public peuvent évoquer des questions à caractère religieux avec les agents, ces derniers sont tenus d’éluder le sujet. Il n’est donc pas question de parler religion, ni avec ses collègues, ni avec les usagers.

 

Puis-je invoquer mon appartenance confessionnelle pour obtenir un aménagement de mes horaires de travail ? Un congé exceptionnel ?

 

DP : En droit privé, le principe demeure celui du consensualisme et de la libre négociation des parties. Par conséquent, vous pouvez toujours obtenir de votre employeur un aménagement de vos horaires de travail ou un congé exceptionnel pour motif religieux s’il l’accepte. Cependant, le Code du travail ne l’y contraint aucunement. Il faut donc, sur ces thématiques, agir en bonne intelligence.

FC : Ici encore, la fonction publique se montre extrêmement rigide de telle sorte que les convictions religieuses n’ont pas vocation à être invoquées sur de tels sujets. Notons cependant, et cela est également vrai pour le secteur privé, que la direction ne peut pas refuser que vous posiez des jours de repos acquis pour profiter d’une fête religieuse. Ce seul motif constituerait une discrimination sanctionnée par les juridictions. En revanche, un refus fondé sur les nécessités du service ou les besoins de l’entreprise, à l’exclusion de toute motivation discriminatoire, demeure possible.

 

Des questions de nature religieuse peuvent-elles être évoquées lors d’un recrutement ?

 

DP : Hormis l’hypothèse bien particulière des entreprises de tendance, la réponse est négative. Le Code du travail proscrit toute forme de discrimination qui serait fondée sur la confession d’un candidat.

FC : Il en va de même dans le secteur public. Le principe de laïcité est en effet un principe protecteur qui vise à permettre à tout citoyen, sans distinction de confession, de se porter candidat à l’emploi public de son choix. En ce sens, la neutralité religieuse imposée aux fonctionnaires est une garantie contre toute forme de discrimination.

DP : Ajoutons que ce principe de non-discrimination liée à la confession vaut durant toute la carrière du salarié.

FC : Exactement comme dans le public. Aucune sanction disciplinaire ne peut être prise pour un motif tiré de l’appartenance religieuse.

 

Le cas particulier des salariés des SPIC

Les services publics industriels et commerciaux (SPIC) sont des services publics d’une nature particulière. Hybrides par nature, ces structures contribuent au service public tout en obéissant à des règles d’organisation et de fonctionnement comparables à celles qui existent dans le secteur privé. Il en va notamment ainsi des salariés de ces structures qui sont soumis au droit privé et non pas au droit de la fonction publique.


Pour autant, la vocation des SPIC à servir le public entraîne leur soumission à certains grands principes du droit de la fonction publique. Tel est le cas en matière religieuse. Par un arrêt en date du 19 mars 2013, la Cour de cassation a affirmé que les principes de neutralité et de laïcité du service public sont applicables à l’ensemble des services publics, y compris lorsque ceux-ci sont assurés par des organismes de droit privé. Pour ces salariés, les dispositions du Code du travail n’ont donc pas vocation à s’appliquer : en raison de leur participation à une mission de service public, ils ne peuvent pas manifester leurs croyances religieuses par des signes extérieurs.

 

Illustrations jurisprudentielles de ces grands principes

• Le refus de se soumettre à la visite médicale obligatoire pour un motif religieux constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement.

(Cass. soc., 29 mai 1986, n° 83-45.409)

• Un boucher ne peut pas invoquer ses convictions religieuses afin de refuser de toucher de la viande de porc sans commettre une faute disciplinaire justifiant son licenciement.

(Cass. soc., 24 mars 1998, n° 95-44.738)

• Un fonctionnaire ne peut pas utiliser la messagerie électronique du service sur le site Internet d’une organisation religieuse.

(CE, 15 octobre 2003, n° 244428)

• Une fonctionnaire ne peut pas profiter de sa position pour distribuer des tracts à caractère religieux.

(CE, 19 février 2009, n° 311633)

 

Diego PARVEX / Avocat associé

 

Franck CARPENTIER / Avocat

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Mise à jour :mercredi 17 avril 2024
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