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La plume de l'alouette
Novembre 2023

La vie après le CHSCT

La vie après le CHSCT

 

La santé, la sécurité et les conditions de travail (SSCT) devraient mobiliser de manière permanente les partenaires sociaux au sein des entreprises. Loin d’une simple incantation, il s’agit ni plus ni moins de rappeler qu’un salarié ne se limite pas à sa simple force productive, et qu’il doit comme tout être humain bénéficier d’un droit à la santé et au respect de son intégrité physique et mentale.

Les facteurs de causalités sont multiples, mais il paraît évident que la suppression des CHSCT en est un. Le passage en CSE aura sans aucun doute profondément perturbé le travail des élus. Dès lors que le CSE était conceptuellement construit comme un « super CE » davantage orienté sur les aspects économiques et que les Commissions Santé, Sécurité et Conditions de Travail (CSSCT) faisaient office de strapontin pour régler les questions relatives à la santé au travail, il ne faut pas s‘étonner de voir que ces sujets sont aujourd’hui réduits à la portion congrue.

 

Défaut conceptuel ou volonté d’annihiler la question de la santé au travail ?

« L’élargissement et la concentration sur le CSE d’un champ très vaste de sujets à aborder ne crée pas mécaniquement une meilleure articulation des enjeux stratégiques, économiques et sociaux, et peut constituer un élément de fragilisation de l’engagement des élus[1]. »

Force est de constater que les questions de santé et sécurité au travail pâtissent notamment :

  • Du fait qu’en la matière il appartient au seul CSE d’ester en justice ou de mandater un expert SSCT ;
  • De l’allongement des réunions et des ordres du jour lié à l’empilement des prérogatives et la complexité des problèmes à traiter ;
  • D’un manque d’articulation entre le CSE et la CSSCT ;
  • De l’ambiguïté dans la répartition des rôles entre CSE, CSSCT et représentants de proximité lorsqu’ils existent ;
  • De la volonté de rendre obligatoire la mise en place des CSSCT dans les seules entreprises de 300 salariés et plus (sauf exceptions marginales).

Cela créé nécessairement une forme de désorganisation conduisant certains à traiter ces sujets dans la précipitation lorsque d’autres n’auront pas d’autres choix que de les ignorer par manque de temps. Le formalisme imposé par la fusion des instances provoque sans conteste un désinvestissement des élus sur ces questions et un effacement progressif de celles-ci au détriment du dialogue social et des salariés.

La création des CSSCT : une fausse bonne idée

Sans doute embarrassé par la suppression des CHSCT, le gouvernement ouvrait la voie à la mise en place des CSSCT.

A cet effet, le Code du travail précise que cette commission est créée dans :

1° Les entreprises d’au moins 300 salariés ;

2° Les établissements distincts d’au moins 300 salariés ;

3° Les établissements comprenant au moins une installation nucléaire.

Par ailleurs, dans les entreprises et établissements distincts de moins de 300 salariés, l’inspecteur du travail peut imposer la création de cette commission lorsque cette mesure est nécessaire, notamment en raison de la nature des activités, de l’agencement ou de l’équipement des locaux.

Personne n’est dupe de cette imposture, puisque là où les CHSCT étaient obligatoires dès 50 salariés, il faut atteindre 300 salariés pour escompter mettre en place une CSSCT. Là où le CHSCT disposait de la personnalité morale et notamment de la capacité d’ester en justice, la CSSCT constitue ni plus ni moins qu’un simple groupe de travail.

Certaines pratiques montrent par ailleurs les aberrations engendrées par ce nouveau dispositif. Ainsi, dès lors qu’un sujet porte sur un point spécifique SSCT certaines directions n’hésitent pas à court-circuiter le CSE en présentant des documents auprès des seuls membres de la CSSCT avant que celle-ci ne revienne par la suite devant le CSE pour présenter ses travaux. Mis à l’écart et manquant forcément d’information, les élus du CSE ne sont alors pas en capacité d’exercer utilement leur mission. C’est source d’incompréhension et forcément de tension et de crispation.

Or, la SSCT c’est avant tout l’affaire du CSE. Ces sujets qui engagent l’employeur et concernent l’ensemble de la collectivité des salariés ne peuvent être circonscrits à la seule CSSCT.

Enfin, moins politique et, de ce fait, moins soumis aux tensions syndicales que peut connaître un CSE, le CHSCT se présentait davantage comme une instance participative et force de propositions, ce qui contribuait à l’efficacité du travail de ses membres.

Les membres des CHSCT, instance autonome des DP et CE, étaient désignés par ces derniers parmi les salariés de l’entreprise. Ainsi, l’employeur avait face à lui, pour traiter des problématiques SSCT, des interlocuteurs différents de ceux avec lesquels il débattait de sujets économiques épineux, et souvent avec un engagement et une grille de lecture différents.

Désormais, la CSSCT est diluée dans le CSE, de sorte que les candidats doivent s’engager syndicalement pour espérer être élus au 1er tour. Couplé au durcissement du dialogue social observé ces dernières années, les élus se trouvent souvent en « opposition » avec la direction, accentuant les réticences des employeurs à véritablement travailler avec les élus, y compris sur les sujets SSCT, et entravant, de ce fait, l’efficacité du dialogue social sur les sujets SSCT.

Toutes les demandes ayant pour objet de modifier l’actuel dispositif, soit pour rendre obligatoires les CSST à compter de 50 salariés, soit pour réfléchir à la mise en place d’une nouvelle forme de CHSCT, ont à ce jour fait l’objet d’une fin de non-recevoir par le gouvernement. Dont acte !

SSCT : une reprise en main par le CSE s’impose !

Cette posture idéologique oblige à repenser la place de la SSCT dans le dialogue social et la meilleure appropriation que peut en faire le CSE au quotidien. N’oublions pas en effet que pour la plupart les CSSCT ne se réunissent pour la plupart que 4 fois l’an. Autant dire que pour traiter de sujets majeurs concernant l’intégrité physique et/ou mentale des salariés le fait de ne pas militer pour des réunions plus régulières et d’assigner la CSSCT à un rôle de passe plat discrédite les artisans de la réforme de 2017.

Dès lors, nous invitons tous les CSE à réinvestir le champ de la SSCT :

  • En prenant appui sur les représentants de proximité lorsqu’ils existent ;
  • En renforçant le rôle et les missions du ou des référents harcèlement sexuel et agissements sexistes ;
  • En donnant de véritables moyens aux membres du CSE pour mener régulièrement des enquêtes et des inspections ;
  • En accordant une place spécifique à ce sujet lors de la consultation sur la politique sociale (mesures prises en vue de faciliter l’emploi des accidentés du travail, rapport annuel sur le bilan de la situation générale de la santé, de la sécurité et des conditions de travail et actions menées, travail de nuit et prévention des effets de l’exposition aux facteurs de risques professionnels, programme annuel de prévention des risques professionnels et d’amélioration des conditions de travail …) ;
  • En décidant de recourir plus régulièrement aux services d’un expert habilité ;
  • En vérifiant que l’employeur :
    • Informe annuellement l’agent de contrôle de l’inspection du travail, le médecin du travail et l’agent des services de prévention des organismes de sécurité sociale du calendrier retenu pour les réunions consacrées aux sujets relevant de la SSCT ;
    • Leur confirme par écrit au moins quinze jours à l’avance de la tenue de ces réunions.

Autant d’actions qui nécessitent de faire un bilan de la première mandature et de travailler collectivement.

 

Conclusion

L’objectif de « simplification » souhaité par le Gouvernement s’avère, sans surprise, non pertinent dans un contexte de complexification des problématiques SSCT. Il est encore temps de changer de paradigme, et de réinvestir les missions SSCT, sauf à considérer que les profits valent plus que la vie d’un seul être humain.

 

Marion STOFATI

Avocate – Bureau de Marseille

Olivier CADIC – Directeur juridique

 

[1] France Stratégie, Rapport du comité d’évaluation des ordonnances, Décembre 2021, page 16

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Mise à jour :mercredi 17 avril 2024
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