Le litige concerne la contestation de la rupture de son contrat de travail par un salarié ayant été promu Directeur puis licencié pour insuffisance professionnelle par son employeur.
Ce dernier lui reproche en partie son comportement critique et son refus de partager les valeurs de la société, notamment la valeur « fun and pro ». Celles-ci consistent notamment à la participation à la célébration des succès, générant une consommation d’alcool excessive des participants, encouragés par les associés du cabinet de conseil et entraînant divers excès et dérapages.
La Cour de cassation est venue rappeler que, sauf abus, le salarié jouit, dans l’entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d’expression. Le caractère illicite du motif de licenciement prononcé, même en partie, en raison de l’exercice, par le salarié de sa liberté d’expression, liberté fondamentale, entraîne à lui seul la nullité du licenciement.
Cette décision s’inscrit dans une jurisprudence constante de la Chambre sociale selon laquelle le licenciement prononcé par l’employeur pour un motif lié à l’exercice non abusif par le salarié de sa liberté d’expression est nul (Cass. soc. 22-6-2004 n°02-42.446 ; Cass. soc. 16-2-2022 n°19-17.871).
L’arrêt vient donc réaffirmer le principe de liberté d’expression, liberté fondamentale permettant à un salarié d’exprimer son opinion vis-à-vis des pratiques de son entreprise.
Cette jurisprudence s’inscrit d’ailleurs dans la continuité d’une autre décision rendue quelques mois auparavant (Cass. soc., 29 juin 2022, no 20-16.060)[1].
Le message de la Cour de cassation semble clair, en vertu de leur liberté d’expression, les salariés peuvent exprimer librement leurs opinions sur leur Direction sans que cela ne puisse constituer un motif de licenciement !
Rappelons tout de même qu’il existe une limite à l’exercice de cette liberté d’expression : l’abus de droit. Sont reconnus comme abusifs, les propos injurieux, diffamatoire, ou excessifs (Cass. soc., 9 nov. 2004, n°02-45.830[2] ; Cass. soc., 7 oct. 1997, no 93-41.747[3]). Ainsi, sauf abus, il ne peut être apporté à la liberté d’expression des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché (Cass. soc., 24-11-21, n°19-20.400[4]).
Enfin, l’arrêt met également en exergue un principe constant de la Chambre sociale selon lequel : en cas de pluralité de motifs de licenciement, si un seul est susceptible d’entraîner l’annulation, alors la nullité du licenciement doit être prononcée (Cass. Soc., 8 juill. 2009, no 08-40.13)[5].
En conclusion, en réaffirmant la liberté d’expression comme une liberté fondamentale, l’arrêt admet qu’elle puisse permettre la critique des valeurs de l’entreprise au même titre que la possibilité pour le salarié d’exprimer une opinion et de tenir des propos sur l’organisation et le fonctionnement de l’entreprise, dès lors que ce dernier ne tient aucun propos abusif, injurieux ou diffamatoire.
Abdou-Paul BOUSSO / Juriste IDF
[1]Le salarié avait adressé une lettre au président du directoire du groupe, pour dénoncer la gestion désastreuse de la filiale roumaine tant sur le terrain économique et financier qu’en termes d’infractions graves et renouvelées à la législation sur le droit du travail. La Cour d’appel avait exactement retenu que les termes employés n’étaient ni injurieux, ni excessifs, diffamatoires à l’endroit de l’employeur et du supérieur hiérarchique.
[2] Dans ce cas, la salariée concernée avait qualifié son directeur d’agence de « nul et incompétent » et les charges de gestion de « bœufs ».
[3] Une salariée d’un cabinet médical avait déclaré en public qu’un docteur ne prenait pas les mesures nécessaires à la stérilisation des aiguilles qu’il utilisait. Il avait été retenu l’existence d’une violation de l’obligation de discrétion et d’une volonté délibérée de nuire à la réputation de l’employeur.
[4] Cette décision vise l’article L. 1121-1 du Code du travail selon lequel « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. ».
[5] Dans ce cas parmi les motifs de licenciement, était reproché la participation à une grève.
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