Comme l’illustre cette nouvelle décision de la chambre sociale de la Cour de cassation (Cass. soc. 24-11-2021 n° 20-19.040 F-D), un employeur dans le cadre de son pouvoir de direction ne dispose pas de toute latitude lorsqu’un salarié par ailleurs représentant du personnel, s’oppose à un changement de ses conditions de travail.
L’attention qui doit être portée à l’égard de toute modification concernant un salarié protégé n’est pourtant pas nouvelle depuis l’arrêt Perrier du 21 juin 1974 (extrait) : « les dispositions législatives soumettant (...) à la décision conforme de l’inspecteur du travail le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, ont institué, au profit de tels salariés et dans l’intérêt de l’ensemble des travailleurs qu’ils représentent, une protection exceptionnelle et exorbitante du droit commun qui interdit par suite à l’employeur de poursuivre par d’autres moyens la résiliation du contrat de travail » (Cass. ch. mixte, 21 juin 1974, n°71-91.225, Bull. civ. ch. mixte, n°2).
Un employeur ne peut imposer unilatéralement à un représentant du personnel, une modification de son contrat ou un simple changement de ses conditions de travail, sans recueillir son consentement express.
Ainsi, dans le cadre des dispositions de l’article L.2421-3 du code du travail, si l’employeur considère qu’il est dans son droit et que le refus du salarié est illégitime, il peut :
- Soit engager une procédure de licenciement en saisissant l’inspection du travail d’une demande d’autorisation de licenciement après consultation du CSE,
- Soit renoncer à cette modification ou à ce changement et poursuivre le contrat de travail aux conditions antérieures.
Cette procédure protectrice a un objectif clair : éviter que la proposition de modification du contrat de travail ne soit animée par la volonté d’exercer des pressions sur le représentant du personnel, de le discriminer ou de s’en « séparer » via un licenciement.
Mais ne nous y trompons pas, ce statut protecteur ne consacre pas pour autant au bénéfice du représentant du personnel une immunité absolue.
En d’autres termes, refuser un changement des conditions de travail peut légitimer le licenciement pour faute d’un salarié protégé, si l’initiative de l’employeur est exempte de tout vice.
Dans cette affaire, consécutivement à la perte d’un marché de prestations de sécurité, un employeur avait décidé d’affecter un salarié à l’époque des faits délégué du personnel, sur un nouveau site en faisant jouer la clause de mobilité, manifestement prévue dans son contrat de travail.
Ce salarié avait alors signalé qu’il refuserait de s’y rendre. Son employeur constatant que celui-ci ne s’était pas présenté sur son nouveau lieu de travail décidait de suspendre sa rémunération.
Privé de sa rémunération, le salarié décidait de prendre acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de son employeur et saisissait la justice considérant que la privation de sa rémunération était abusive et injustifiée.
Rappelons que la prise d’acte est une décision unilatérale prise par un salarié de rompre le contrat de travail qui le lie à son employeur. Elle est en générale motivée par un manquement grave de l’employeur qui empêche le salarié de poursuivre son contrat de travail.
Cette rupture a pour conséquences si les faits invoqués par le salarié sont reconnus par la justice, de produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Mais dans le cas contraire, elle produit les effets d’une démission.
Cette initiative et la procédure qui s’en suit n’est donc pas à prendre à la légère par tout salarié qui entendrait prendre acte de la rupture de son contrat de travail.
Après une première décision du Conseil de prud’homme favorable au salarié, son employeur obtenait gain de cause devant la Cour d’appel jugeant que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail produisait les effets d’une démission. Elle le déboutait alors de ses demandes d’indemnité de licenciement, d’indemnité compensatrice de préavis, les congés payés y afférents, d’indemnité pour violation du statut protecteur, de rappel de salaire pour les mois d’avril et mai 2015, de congés payés y afférents, de dommages et intérêts pour licenciement nul, et de dommages et intérêts pour comportement déloyal.
La Chambre sociale de la Cour de cassation, va pourtant censurer l’arrêt rendu le 21 mars 2019 par la Cour d’appel, en rappelant les principes de droit suivants.
« Aucune modification de son contrat de travail ou changement de ses conditions de
travail ne peut être imposé à un salarié protégé. En cas de refus par celui-ci de cette modification ou de ce changement, l’employeur doit poursuivre le contrat de travail aux conditions antérieures ou engager la procédure de licenciement en saisissant l’autorité administrative d’une demande d’autorisation de licenciement. Il appartient à l’employeur de maintenir tous les éléments de rémunération antérieurement perçus par le salarié aussi longtemps que l’inspecteur du travail n’a pas autorisé son licenciement.
En statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que le changement de site d’affectation décidé par l’employeur à compter du 7 avril 2015 avait été refusé par le salarié, titulaire d’un mandat de délégué du personnel, et que l’inspecteur du travail n’avait pas autorisé le licenciement de ce dernier à la suite de ce refus, ce dont elle aurait dû déduire que l’absence de rémunération constituait un manquement grave rendant impossible la poursuite du contrat de travail, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés ».
Cet arrêt entend rappeler à l’instar pourtant de nombreuses jurisprudences qui l’ont précédé, qu’en cas de refus d’un changement des conditions de travail d’un salarié exerçant un mandat de représentant du personnel, l’employeur n’a d’autres solutions que de soit renoncer à la modification envisagée, soit saisir l’inspection du travail d’une demande d’autorisation de licenciement.
Toute autre voie l’expose à une condamnation.
Aurélien LADUREEE
Juriste référent IDF
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