Jusqu’où va la protection de l’exercice du droit de grève ? La Cour de cassation y apporte une précision intéressante -et brûlante d’actualité- dans un arrêt du 23 novembre 2022 (n°21-19.722).
La protection du droit de grève découle de l’alinéa 7 du préambule de la constitution de 1946 et des engagements nationaux ratifiés par la France1. Elle se traduit dans le code du travail aux articles L. 1132-2 et L. 2511-1, ce dernier disposant que :
« L’exercice du droit de grève ne peut justifier la rupture du contrat de travail, sauf faute lourde imputable au salarié.
(…) Tout licenciement prononcé en absence de faute lourde est nul de plein droit. »
La jurisprudence de la Cour de cassation considère de longue date que la protection instituée par ces articles empêche non seulement de licencier un salarié en raison de sa participation à une grève, mais encore en raison des faits qu’il a commis pendant cette grève, tant que ceux-ci participent de son exercice normal.
Relevons d’emblée que de tels faits, insusceptibles de sanction s’ils relèvent de l’exercice du droit de grève, pourraient en revanche constituer une faute (grave) dans le cadre de l’exécution normale du contrat de travail.
Mais qu’en est-il du salarié qui incite ses collègues à faire grève non pas pendant, mais avant le début d’une grève ?
C’est à cette question que la Cour de cassation répond dans son arrêt du 23 novembre 2022 (n° 21-19.722).
L’espèce porte sur un salarié occupant des fonctions de « responsable de produit », qui est licencié en 2016, pour faute grave.
Entre autres motifs, la lettre de licenciement énonce :
« Vous êtes passé à une véritable intention de nuire à notre société en incitant les membres de votre équipe à faire grève. Ainsi, le 9 février dernier, nous avons appris que vous aviez, le 10 décembre 2015, […] contacté les membres de votre équipe …] pour leur faire part de votre intention de vous mettre en grève dès le lendemain et, en ce qui concerne un collaborateur, pour l’inciter à faire de même. »
Le salarié conteste la validité de son licenciement devant le conseil de prud’hommes, considérant que les termes de la lettre de licenciement caractérisent une atteinte illicite à l’exercice du droit de grève.
Toutefois les juges du fond ne suivent pas cet argument.
En résumé, la Cour d’appel de Paris3 considère que la règle interdisant le licenciement d’un salarié en raison de faits commis au cours de la grève n’avait pas vocation à s’appliquer, puisqu’au moment où le salarié incitait ses collègues à faire grève, celle-ci n’était pas encore commencée.
Bien heureusement, la Cour de cassation censure cette position.
Elle juge de façon très claire que :
« la lettre de licenciement reprochait au salarié d’avoir tenté d’inciter les membres de son équipe à mener une action de grève en réponse au refus de la direction d’engager du personnel supplémentaire, ce dont il résultait que les faits reprochés avaient été commis à l’occasion de l’exercice du droit de grève ».
En d’autres termes, inciter à faire grève constitue déjà un acte relevant de l’exercice de la grève, pour lequel le salarié ne peut être sanctionné.
Un licenciement sur ce fondement est nul.
Cette solution est parfaitement logique puisqu’elle assure l’effectivité du droit de grève.
Il se concevrait mal, en effet, que le fait d’être en grève soit protégé mais que le fait d’appeler à la grève ne le soit pas.
L’on peut se demander si la solution aurait été la même dans l’hypothèse où le salarié aurait appelé à une cessation collective du travail qui ne répondait pas à la définition juridique la « grève » (ex : absence de revendications professionnelles, « grève politique »).
Notons enfin que dans l’espèce soumise aux juges, de très nombreux autres griefs étaient formulés à l’encontre du salarié.
Le licenciement aurait peut-être trouvé une cause réelle et sérieuse si l’employeur s’était contenté d’invoquer ces autres griefs. Mais ces motifs ne devraient en principe, jamais être examinés par les juges, conformément à la jurisprudence dite du motif « contaminant » : le simple fait d’avoir invoqué le motif illicite relatif à l’exercice du droit de grève suffit, à lui seul, à entraîner la nullité du licenciement6.
Victor Colombani
Avocat
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