Actus d’Atlantes

Barème Macron : Le Comité Européen des Droits Sociaux (CEDS) persiste sur sa non-conformité à la charte sociale européenne

 

Pour rappel, en 2017, les ordonnances Macron créent un barème lié aux indemnités de licenciement jugé abusif (sans cause réelle et sérieuse), qui fixe un plancher et un plafond exprimés en mois de salaire brut qui dépend de l’ancienneté du salarié dans l’entreprise.

Ce barème est controversé en France notamment car il permet de d’anticiper les éventuels coûts en cas de licenciement abusif et limite les prérogatives des juges sur l’appréciation du préjudice. Ce barème est critiqué par plusieurs organisations syndicales qui estiment qu’il viole les droits des travailleurs.

Puis, récemment, la Cour de Cassation[1] a décidé de valider ce barème et les cours d’appels ne semblent plus faire résistance à l’application de ce plafonnement (contrairement à leur posture antérieure à la décision de la Cour de Cassation).

Ne reste donc plus que l’avis des cours européennes qui doivent se prononcer sur le sujet et éventuellement condamner ce barème.

Le CEDS a notamment été saisi par FO et CGT. Celui-ci a pour mission de surveiller l’application de la Charte Sociale Européenne. Cette dernière énonce les droits sociaux et économiques fondamentaux tels que le droit au travail, la protection sociale, la santé, l’éducation, ainsi que des droits spécifiques pour les groupes vulnérables, comme les enfants et les personnes âgées.

Les décisions prises par le CEDS ne sont pas contraignantes, mais elles peuvent avoir un impact sur les politiques et les pratiques des Etats en matière de droits sociaux.

En l’espèce, le débat porte sur l’application du barème Macron par rapport à l’article 24.b de la Charte sociale européenne et la convention 158 de l’Organisation Internationale du Travail.

 

1.Une première décision du 23 mars 2022 : les plafonds ne permettent pas de réparer le préjudice subi par la victime

Pour rappel, l’article 24b de la charte sociale européenne consacre « le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée ».

Or, selon le CEDS, le barème Macron prévu par l’article L. 2315-3 du Code du travail ne respecte pas ce principe en présentant quatre arguments[2] :

- La fourchette d’indemnisation n’est pas assez large ;

- Le barème constituerait une « incitation pour l’employeur à licencier abusivement des salariés » en permettant aux employeurs de faire « une estimation réaliste de la charge financière que représenterait pour eux un licenciement injustifié sur la base d’une analyse coûts-avantages » ;

- Le barème ne permet pas de prendre en compte la « situation personnelle et individuelle du salarié » ;

- Le salarié ne bénéficie pas d’une « voie de droit alternative à part entière », étant entendu que le droit commun de la responsabilité civile reçoit une application restreinte.

Le CEDS a appelé la France à revoir le barème pour garantir une indemnisation adéquate pour les salariés injustement licenciés. Le gouvernement français a réagi avec prudence à cette décision du CEDS. La ministre du Travail, Elisabeth Borne, a déclaré que le gouvernement français allait étudier attentivement la décision du CEDS et qu’il était prêt à travailler avec les partenaires sociaux pour trouver une solution qui soit compatible avec la Charte sociale européenne. 

A noter que ce n’est pas la première fois que le CEDS juge un barème non conforme. Cela a déjà été le cas pour l’Italie[3] ainsi que pour la Finlande[4].

 

2.Une position réaffirmée dans une décision du 5 juillet 2022

Pour donner suite à la précédente décision de la CEDS, la Cour de cassation a rappelé, dans le cadre de son communiqué accompagnant ses arrêts du 11 mai 2022 confirmant l’application du barème, que « les décisions que prendra ce comité ne produiront aucun effet contraignant, toutefois, les recommandations qui y seront formulées seront adressées au gouvernement français ».

Dans une nouvelle décision du 5 juillet 2022, le CEDS réitère sa position en estimant que le barème français n’est pas conforme à la Charte Sociale Européenne.

Le Comité renvoie expressément à sa précédente décision notamment en ce que les « plafonds d’indemnisation fixés par l’article L.1235-3 du code du travail ne sont pas suffisamment élevés pour réparer le préjudice subi par la victime et être dissuasifs pour l’employeur. En outre, le juge ne dispose que d’une marge de manœuvre étroite dans l’examen des circonstances individuelles des licenciements injustifiés. Pour cette raison, le préjudice réel subi par le travailleur en question, lié aux circonstances individuelles de l’affaire peuvent être prises en compte de manière inadéquate et, par conséquent, ne pas être corrigées  ».

En outre, le CEDS prend note de la décision de la Cour de Cassation mais s’y oppose. En effet, il indique que la « Charte énonce des obligations de droit international qui sont juridiquement contraignantes pour les États parties et que le Comité, en tant qu’organe conventionnel, est investi de la responsabilité d’évaluer juridiquement si les dispositions de la Charte ont été appliquées de manière satisfaisante ».

Le débat n’est donc pas terminé à ce jour. Les juridictions nationales vont-elles finalement s’y opposer comme on le voit récemment dans deux décisions de Cour d’Appel[5] ? Le législateur va-t-il s’emparer du sujet ? La CJUE pourrait-elle écarter le barème ?

A suivre donc…

 

Audrey LIOTÉ, Juriste AURA

 

 

 

 

 

 

 



[1] Cass. Soc. 11 mai 2022 n°21-15.247 et 21-14.490 et Cour de cassation, chambre sociale, 1er février 2023, n° 21-21.011

[2] Décision sur le bien-fondé des réclamations n° 160/2018 et n° 171/2018

[3] Décision no 158/2017 du 11 septembre 2019, CGIL C. Italie

[4] Décision no 2016/2016 du 8 septembre 2016, Finnish Society of Social Rights C. Finlande

[5] Cour d’appel Grenoble 16 mars 2023 n°21/02048 et cour d’appel de Douai 21 octobre 2022 n°1736/22

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