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Novembre 2019

EDITO

 « Du travail ou un sort »

 

La ministre du travail, Muriel PENICAUD, ne s’en est pas cachée lors de son intervention du 22 octobre dernier, considérant qu’avec cette réforme de l’assurance chômage : « Oui, c’est un peu plus dur ». Doux euphémisme.

Allongement de la durée minimale d’affiliation, fin des droits rechargeables, nouvelles règles de calcul du salaire journalier de référence, etc. Quelques mois à peine après la publication d’un décret qui alourdit les sanctions contre les demandeurs d’emploi qui ne respectent pas leurs obligations (décret n°2018-1335) et au regard des colossales économies demandées par le gouvernement, le discours de responsabilité peine à se faire entendre.

Les lourdes conséquences de cette réforme reprise en main par le gouvernement sont désormais pointées à l’unisson par les syndicats, l’Unedic et même les salariés du Pôle Emploi.

A y regarder de près, on comprend que les conséquences pourraient être lourdes pour les demandeurs d’emploi qui alterneraient les périodes d’emploi et de non-emploi de courtes durées, comprenant de bas salaires et en temps partiels : les travailleurs précaires. Alors quoi… les salariés déjà contraints au travail précaire devraient donc accepter davantage d’emplois précaires s’ils ne veulent pas voir leurs droits diminuer voire disparaître ?

« Quand il y a de l’emploi, je trouve ça logique qu’il soit pris » ajoutait la ministre. Pour répondre à cet éternel soupçon d’oisiveté, il convient sans doute de rappeler, qu’en 2018, selon l’Unedic* 50% des allocataires touchaient moins de 860 euros. Loin d’être une situation confortable.

Sans doute, faudrait-il commencer par faire évoluer les termes utilisés dans les textes juridiques et les discours de nos représentants et ainsi arrêter de parler de « chômeurs » mais plutôt de « sans emplois » ou de « privés d’emplois », comme pour rappeler le préambule de la constitution du 27 octobre 1946 qui garantit le droit à chacun d’obtenir un emploi.

* En 2018, 47% des allocataires du pôle emploi étaient précédemment en CDD ou en mission d’intérim // Les chiffres qui comptent.

Maxence DEFRANCE,
Juriste - Atlantes Paris/Ile-de-France

L’ECOLOGIE A L’ORDRE DU JOUR

Si longtemps le lien entre action des syndicats et protection de l’environnement n’est pas apparu avec évidence, tel n’est plus le cas aujourd’hui.

Alors que beaucoup d’industriels persistent à faire du chantage à l’emploi devant l’administration (Préfet, Dréal [1]) comme devant les juges, pour essayer de « justifier » la poursuite d’activités portant atteinte à l’environnement[2], les syndicats et les associations de protection de l’environnement tentent quant à eux de porter un message commun de justice sociale et environnementale.

Le rôle des syndicats dans la protection de l’environnement se traduit notamment par la grève, les négociations collectives et les actions en justice.

L’exercice du droit de grève au service de la cause environnementale : Le cas Sénerval

Par définition, la grève résulte d’un arrêt collectif et concerté de travail, en vue d’appuyer des revendications professionnelles déterminées[3]. Pour revêtir la qualification de « grève » (opposé à mouvement illicite), le mouvement déclenché par les salariés doit nécessairement viser des préoccupations professionnelles ou sociales au sein de leur travail.[4]

Déclencher une grève basée sur des préoccupations liées uniquement à la protection de l’environnement est donc impossible.

En revanche, si les préoccupations liées à la santé ou la sécurité des salariés, à leurs conditions de travail ou d’emploi, sont intégrées aux revendications environnementales, celles-ci peuvent justifier un mouvement de grève.

Ce fut le cas de la grève exercée par les salariés de l’usine d’incinération des déchets, Sénerval (filiale du groupe Séché Environnement) située à proximité de Strasbourg, qui a duré presque 3 mois, entre le 21 mars et le 10 juin 2014. Les salariés avaient également exercé leur droit de retrait à partir du 23 avril.

La CGT, à l’origine du déclenchement de cette grève, déplorait les conditions de travail « dangereuses et nocives pour la santé des salariés ». La CGT reprochait par ailleurs à Sénerval de « faire courir des risques sanitaires à la population strasbourgeoise », ce que la direction démentait.

Après 60 jours de grève, alors que la direction démentait toute pollution atmosphérique, la CGT a révélé publiquement les données chiffrées des rejets de polluant dans l’air, qui dépassaient nettement les seuils autorisés :

« Ainsi le 17 décembre, vers 7h du matin, l’usine a rejeté 181,5 mg/m³ de poussières quand le seuil maximum autorisé est de 30 mg/m³. Au même moment, 314,5 mg/m³ d’azote ont été envoyés dans l’atmosphère quand le seuil maximum instantané est de 150 mg/m³. Des dépassements de ce genre, les grévistes en ont relevé des dizaines et des dizaines. »[5]

A la suite de ce conflit social, la préfecture a ordonné à l’exploitant de réaliser des travaux d’urgence, semble-t-il insuffisants, car les dysfonctionnements ont perduré, donnant lieu à un arrêt total de l’usine pour une durée de 2 ans et demi, à partir de septembre 2017.

Aujourd’hui, malgré les investissements publics de 200 millions d’euros, les emplois des salariés sont plus que menacés, 1/3 du personnel étant déjà parti, en moins de 2 ans, sous forme de licenciements ou démissions.

Il est vraisemblable que les atteintes de l’entreprise à l’environnement ont participé à la situation dans laquelle se trouvent les salariés aujourd’hui. En l’occurrence, si l’entreprise avait été soucieuse de ses impacts environnementaux, il n’y aurait sans doute pas eu tant de répercussions négatives sur la santé et l’emploi des salariés.

A cet égard, la convention de partenariat de la fédération des associations de protection de l’environnement France Nature Environnement (FNE) avec un syndicat de salariés, précise que :

« Faire primer les questions environnementales sur les questions sociales serait contreproductif et voué à l’échec. En conséquence, les solutions que nous avons à construire doivent permettre de concilier transition écologique et justice sociale pour tous. » [6]

 

Interview d’Arnaud SCHWARTZ, secrétaire national de France Nature Environnement, sur les partenariats de la fédération des associations de protection de l’environnement avec des syndicats de salariés

 

Pourquoi avoir mis en place un tel partenariat avec des syndicats de salariés ?

« Dans un premier temps, pour apprendre à se connaitre et permettre ensuite de prendre position collectivement sur des sujets au long court ou des dossiers d’actualités. L’objectif était d’échanger et de brasser des personnes d’horizons divers pour réfléchir ensemble aux moyens de faire face à la crise environnementale, sociale et économique.

Les tribunes et communiqués de presse réalisées avec les collectifs ‘Faire vivre les places de la république’ et le ‘Pacte du pouvoir de vivre’ sont des exemples montrant que nous savons de plus en plus porter d’une seule voix notre objectif commun : ne plus dissocier les questions sociales et environnementales pour donner à chacun le pouvoir de vivre au sein d’un monde vivable. » 

 

Quand a débuté le partenariat de FNE avec des syndicats de salariés ?

« En 2016, nous avons signé deux conventions de partenariat avec deux syndicats de salariés, dont la CFDT.

Une convention de renouvellement de ce partenariat, beaucoup plus ambitieuse que la première, a été signée en septembre 2019, pour l’un, et devrait bientôt être signée, pour l’autre. »

 

Qu’avez-vous retenu de cette première collaboration ?

« De rassembler des acteurs du monde des travailleurs et de la protection de l’environnement a permis de créer une coalition plus grande et avoir un rapport de force plus important. Nos techniques et méthodes sont différentes, l’union a eu pour effet de sensibiliser un public beaucoup plus large à nos positionnements.

Jusqu’au mouvement des « Gilets Jaunes » les corps intermédiaires n’ont quasiment pas été entendus par le gouvernement. En agissant main dans la main, syndicats et associations ont obtenu d’être reçus ensemble par le Premier Ministre à l’issue du Grand Débat National. Des groupes de travail avec divers ministres vont prochainement en découler afin de donner suite à nos propositions. »

 

En quoi la nouvelle convention de partenariat est-elle plus ambitieuse ?

« Notre nouvelle coopération vise notamment à :

  • Travailler ensemble à la formulation de propositions, voire d’initiatives permettant d’engager le plus grand nombre des emplois dans une réelle transition écologique en accordant une attention particulière à la nécessaire anticipation des transitions professionnelles dans les secteurs d’activité contribuant significativement au dérèglement climatique, à la raréfaction des ressources, à l’effondrement de la biodiversité et à la dégradation de l’environnement ;
  • Diffuser des positions communes afin de rendre visibles nos demandes et propositions partagées, tels que : 
    • relais des positions communes dans les différentes instances de négociation et de concertation auxquelles nous participons ;
    • mutualiser et partager nos connaissances. Plus précisément :
      • concevoir des temps de formation des militants du syndicat tant au niveau national que territorial ;
      • inciter les syndicats de branche à collaborer avec les réseaux thématiques FNE en fonction de leurs objets ;
      • apporter aux responsables de FNE une connaissance des entreprises et des organisations où le syndicat est représenté ;
      • il sera recherché les moyens, dans la mesure du possible, de favoriser le dialogue entre les entités territoriales du syndicat et les associations régionales membres de FNE. De même les parties chercheront à favoriser les relations et démarches communes entre nos structures dans toutes les instances où elles se retrouvent ;
      • accompagner le syndicat dans l’établissement de bonnes pratiques respectueuses de l’environnement. » 

Négociation collective portant sur la RSE et le développement durable

Dans le cadre de négociations d’accords collectifs, les syndicats peuvent jouer un rôle de créateurs de normes environnementales.

Certaines grandes entreprises multinationales ont ainsi conclu avec des syndicats des accords collectifs dans lesquels elles s’engagent à respecter des principes de RSE et de développement durable. C’est notamment le cas de GDF, Rhodia, Lafarge, Safran, Valeo, Solvay, Pernod Ricard, Total, EDF, Casino. Ces accords sont le plus souvent conclus au niveau européen.

Pour la plupart, ils s’engagent à respecter a minima la norme ISO 14001 relative au management environnemental. Elle vise à donner des outils pratiques aux entreprises qui souhaitent maîtriser leurs risques de pollution et améliorer leurs performances environnementales (exemples : réduction des déchets, réduction des émissions de Gaz à effet de serre, réduction des pollutions, etc).

L’accord collectif Pernod Ricard prévoit notamment que :

« Le Groupe reconnaît que ses activités sont génératrices d’impacts sur l’environnement dans différents domaines tels que l’utilisation de ressources naturelles (eau, énergie, matières premières...), la qualité de l’eau, de l’air et du sol, la génération de déchets, le changement climatique ou encore l’état de la biodiversité.

Pour réduire cet impact, le Groupe doit mesurer son empreinte et mettre en place des mesures adaptées en vue de la préservation de l’environnement.

Pour les filiales industrielles, cela doit être fait au moyen de systèmes de management environnemental conformes à la norme ISO 14001. […] La Direction Technique de Pernod Ricard anime et coordonne les actions des filiales, notamment par la réalisation d’un reporting annuel et d’audits réguliers. »

(Accord européen du 7 janvier 2014 sur la responsabilité sociétale de l’entreprise (Pernod Ricard))

Pour un autre exemple, dans l’accord collectif sur la RSE de Valeo (équipementier automobile français), le groupe prend notamment les engagements suivants :

« […]

  • Engagement en faveur d’actions pour une logistique plus sobre en carbone et moins consommatrice d’emballages. […] ;
  • Développement de produits réduisant la consommation des véhicules. […] ;
  • Diminution de la consommation d’énergie et de la production de déchets. […] Le Groupe Valeo a pour objectif de tendre vers « le Zéro métaux lourds » dans les années à venir, dans ses produits. Cet objectif se traduira notamment par une poursuite de l’effort technologique entrepris par les départements R&D. […]
  • Maîtrise de la consommation d’eau. Le Groupe a fixé des objectifs de réduction qui doivent donner lieu à un plan d’action par site. La réduction des consommations d’eau fait l’objet d’une attention particulière et plus encore dans les territoires où la ressource en eau est rare. Chaque site du Groupe est incité, pour les années à venir, à mettre en œuvre les techniques qui permettent de réduire davantage les consommations d’eau : recherche de fuites, amélioration des comportements individuels, remplacement des systèmes de refroidissement en circuit ouvert. La récupération des eaux de pluie et des eaux usées est aussi une voie à explorer au cas par cas. 

[…] »

(Accord du 10 juillet 2012 – RSE – Valeo)

En outre, la négociation de branche sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC), s’appuyant sur les travaux de « l’observatoire prospectif des métiers et des qualifications », doit porter une attention particulière aux mutations professionnelles liées aux filières et aux métiers de la transition écologique et énergétique[7].

Autrement dit, les partenaires sociaux devraient réfléchir, ensemble, au niveau de la branche, aux façons d’anticiper les conséquences de la transition écologique et énergétique sur les emplois (exemple : formation initiale pour les nouveaux emplois dits « verts », formation continue pour adapter les métiers au changement de modèle énergétique etc…)

A l’instar des accords collectifs « classiques », les syndicats pourront suivre et contrôler leur application, notamment par la voie d’action judiciaire (exemple : action en justice pour demander l’application de l’accord collectif).

Agir en justice pour défendre l’environnement

L’article L. 2132-3 du Code du travail précise que : « Les syndicats professionnels ont le droit d’agir en justice. Ils peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif de la profession qu’ils représentent. »

Encore une fois, l’action syndicale en matière environnementale est possible à la condition qu’elle trouve un lien avec les intérêts de la profession. A noter que le préjudice peut être direct ou indirect, de sorte que le syndicat n’a pas à justifier de l’atteinte directe à la santé d’un salarié qu’il représente.

L’action en justice du syndicat peut être réalisée à titre préventif ou réparateur.

Sur l’action syndicale préventive

Dans une décision du Tribunal administratif de Strasbourg du 6 juillet 2001, le juge a admis le recours d’un syndicat en annulation d’un arrêté préfectoral d’autorisation d’exploiter, qui, selon la CFDT des mineurs de Lorraine, aurait des « répercussions sur la santé publique, et était susceptible de porter atteinte aux intérêts sociaux du personnel qui travaille à proximité de la centrale [thermique] ».

Quant aux CE et CHSCT ou au CSE, ils ne peuvent par principe défendre que leurs propres intérêts, légitimes, directs et personnels[8] et non les intérêts individuels des salariés. Leurs actions sont restreintes aux manquements de l’employeur notamment à ses obligations en matière d’information/consultation (exemples : délit d’entrave, demande d’informations, etc..).

Toutefois, le Conseil d’Etat reconnait au comité central d’entreprise (CCE) la possibilité de contester des décisions administratives dès lors qu’elles sont « de nature à affecter les conditions d’emploi et de travail du personnel de l’entreprise », et ce, « de façon suffisamment directe et certaine » [9]. Cette décision est à notre sens transposable au CSE et lui permettrait d’agir devant le tribunal administratif en annulation d’un arrêté préfectoral d’autorisation d’exploiter, comme cela a été reconnu pour le syndicat (cf. supra).

Remarque : une association de protection de l’environnement a obtenu, devant le tribunal administratif, l’annulation d’un arrêté préfectoral d’autorisation d’exploiter, notamment en raison du non-respect de l’obligation de consultation du CHSCT dans le cadre de la procédure de demande d’autorisation d’exploiter[10].

En résumé, le syndicat peut empêcher ou suspendre un projet industriel nuisible pour l’environnement, notamment :

  • par un recours en annulation d’un arrêté préfectoral d’autorisation d’exploiter devant le tribunal administratif ;
  • par un recours devant le Tribunal de Grande Instance, en demande de suspension de la mise en œuvre d’un projet industriel, soumis à information/consultation du CE et du CHSCT ou du CSE, qui serait de nature à compromettre de façon disproportionnée la santé et la sécurité des travailleurs[11].

Sur l’action syndicale réparatrice

Un accident du travail ou une maladie professionnelle peut être provoqué par le non-respect de prescriptions techniques en matière d’hygiène et de sécurité ou encore d’environnement.

Or, un syndicat peut se constituer partie civile en cas d’infractions mettant en danger la santé des personnes exerçant dans cette profession, ou dans l’hypothèse d’un accident de travail dû à la violation de la réglementation en vigueur[12].

En revanche, ni le CHSCT, ni le comité d’entreprise ni le CSE ne se sont vus -pour l’instant- reconnaître le droit d’agir en réparation des préjudices dus à un accident industriel.

Il en aurait peut-être été autrement s’il avait été reconnu une réelle compétence environnementale au CHSCT (et aujourd’hui au CSE), comme cela avait été préconisé lors du Grenelle de l’environnement.

Suite à l’incident de Lubrizol, il serait a notre sens opportun de repenser l’implication des représentants du personnel dans la défense des intérêts environnementaux, et notamment en attribuant des compétences explicites en la matière au CSE.

 

Amélie KLAHR 
Juriste - Atlantes Paris/Ile-de-France

 




[1], Direction Régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement

[2] Jugement du TA de Strasbourg du 6 juillet 2001 n°002635 - argument de l’entreprise : « l’arrêté litigieux contribue au maintien de l’activité de la chaudière et par suite au maintien des emplois de salariés de la centrale membre du syndicat requérant. »

Dans le même ordre d’idée, Raymond Léost, membre du réseau juridique de FNE, raconte que certains employeurs n’hésitent pas, lorsqu’ils sont assignés en justice par une association de protection de l’environnement par exemple, à affréter des bus pour faire venir des ouvriers à l’audience en vue de signifier à l’association (et aux juges) : ’Voilà les gens qui perdront leur travail si votre démarche aboutit’" - Article franceinfo « Subir les rejets polluants pour protéger les emplois : les riverains d’usines racontent à #alertepollution leur quotidien infernal ».

[3] Cass. Soc. 23 octobre 2007, n°06-17802 

[4] Cass. Soc. 29 mai 1979, n° 78-40.553

[6] Nouvel accord de coopération entre FNE et un syndicat de salarié – conclu le 25 septembre 2019

[7] Article L. 2241-12 du Code du travail

[8] Article 31 du Code de procédure civile

[9] CE 3 mars 2006, nº 287960

[10] TA de Pau, 26 juin 2006 – Association « Sepanso Landes » n°030050

[11] Cass. Soc. 5 mars 2008, nº 06-45.888 – affaire défendue par le Cabinet Atlantes

[12] Cass. crim., 26 oct. 1967 , n°67-91098

 

LE CSE AU FIL DES JOURS ET DES PRATIQUES

La loi du 5 septembre 2018 dite « pour la liberté de choisir son avenir professionnel » avait laissé le soin aux partenaires sociaux de mettre en œuvre les modifications du régime d’assurance chômage voulues par le gouvernement et de réaliser les économies demandées dans la lettre de cadrage du gouvernement.

Faute d’accord et fort d’une négociation mort-née, c’est donc le gouvernement qui a repris la main afin de réaliser les 3,4 milliards d’euros d’économies voulues d’ici fin 2021.

Deux décrets en date du 26 juillet 2019 fixent désormais les nouvelles règles de l’assurance chômage. On vous en dit plus.

Nouvelles règles d’indemnisation : cotiser plus pour gagner moins

Travailler 6 mois au lieu de 4

Pour toutes les ruptures du contrat de travail intervenues à compter du 1er novembre 2019, les nouvelles règles d’assurance chômage s’appliqueront.

Dès lors, les travailleurs privés d’emploi âgés de moins de 53 ans devront justifier d’une condition d’affiliation d’au moins 6 mois d’activité au cours des 24 mois précédant le dernier jour travaillé et payé au lieu des 4 mois d’activité au cours des 28 derniers mois précédant la rupture exigée dans l’ancien dispositif. 

Prenons un exemple :

Depuis novembre 2017, Paul a multiplié les petits boulots. Son prochain CDD prend fin le 18 novembre 2019 et il s’interroge sur ses droits au chômage. Il aura cumulé 100 jours de travail soit 5 mois.

Dans l’ancien dispositif, Paul aurait effectivement bénéficié du chômage. En revanche, dans le nouveau dispositif , Paul ne bénéficiera pas du chômage puisqu’il n’aura pas cumulé 6 mois de travail.

La fin des droits rechargeables 

Avec les droits rechargeables, les allocataires arrivés en fin de leur droit à indemnisation peuvent recharger leurs droits à condition d’avoir travaillé au moins 6 mois.

En alignant la condition minimale d’activité pour le rechargement des droits et celle pour ouvrir droit à une indemnisation à 6 mois, le gouvernement neutralise en grande partie le dispositif.

Il s’agit pourtant d’un dispositif récent puisque crée en 2014 et ayant vocation à inciter les chômeurs à reprendre un travail.

Calcul du salaire journalier de référence (SJR) : changement de logique 

Le salaire journalier de référence permet de calculer le montant de l’allocation qui sera versée au demandeur d’emploi.

Pour les salariés privés d’emploi avant le 1er avril 2020, le salaire de référence pris en compte pour fixer le montant l’allocation journalière est établi à partir des rémunérations correspondant aux 12 mois précédant le dernier jour travaillé et payé.

Pour ceux dont la fin de contrat de travail interviendra à partir du 1er avril 2020, le salaire de référence est établi sur les 24 mois précédant le dernier jour travaillé et payé. Cette période sera de 36 mois pour les salariés âgés d’au moins 53 ans.

C’est également un changement dans la logique de calcul. En effet, la précédente logique voulait que le salaire journalier de référence soit calculé sur une moyenne des salaires touchés les jours travaillés par un salarié. A compter du 1er avril 2020, le calcul devra se faire sur le revenu mensuel moyen comprenant donc l’ensemble des jours calendaires de la période à partir de la première période d’emploi. 

 Point de vue Atlantes

Un tel changement de paradigme impactera nécessairement les personnes qui alternent période d’emploi et de non-emploi. En première ligne se trouveront les personnes qui enchaîneront CDD ou intérim. A noter qu’en 2018, 47% des allocataires indemnisés étaient en contrat à durée limitée (CDD, intérim).

En d’autres termes et comme déploré par de nombreux syndicats : c’est une invitation forcée pour ces salariés à accepter encore plus d’emplois précaires, plus pénibles, plus mal payés, si tenté que cela soit possible. A rappeler que l’allocataire ne pourra jamais disposer de plus de 75% de son salaire brut.

Bénéfice de l’allocation de retour à l’emploi (ARE) des salariés démissionnaires : une promesse présidentielle non tenue

La loi du 5 septembre 2018 ouvre le droit aux allocations chômage pour les salariés qui démissionnent afin de poursuivre un projet de reconversion professionnelle nécessitant le suivi d’une formation ou un projet de création ou de reprise d’activité. Loin de bénéficier à tous, des conditions spécifiques sont prévues et méritent une attention toute particulière : 

  • Être apte et être à la recherche d’emploi. Cette condition est satisfaite dès lors que le salarié est inscrit comme demandeur d’emploi
  • 1300 jours de travail au cours des 60 derniers mois précédent la fin du contrat, soit 5 ans
  • Poursuivre un projet de reconversion professionnelle nécessitant le suivi d’une formation ou un projet de création ou de reprise d’une activité. Le caractère réel et sérieux du projet est attesté par la commission paritaire interprofessionnelle régionale (CPIR).
  • Demander préalablement à la démission, un conseil en évolution professionnelle qui va établir avec le salarié le projet de reconversion professionnelle.

Lors de l’examen du dossier, la CPIR étudiera, notamment :

  • Pour les projets de reconversion professionnelle
  • le projet de reconversion ;
  • les caractéristiques du métier souhaité ;
  • la formation prévue et les modalités de financement envisagées ;
  • les perspectives d’emploi à l’issue de la formation.
    • Pour les projets de création d’entreprise
  • les caractéristiques et les perspectives d’activité du marché de l’entreprise à créer ou à reprendre ;
  • les besoins de financement et les ressources financières de l’entreprise à créer ou à reprendre ;
  • les moyens techniques et humains de l’entreprise à créer ou à reprendre ;

Un arrêté en date du 23 octobre 2019 fixe le contenu de la demande d’attestation du caractère réel et sérieux des projets professionnels des salariés démissionnaires. Il existera donc deux formulaires différents, qu’il s’agisse d’un projet de reconversion professionnelle ou de création d’entreprise.

Retrouvez les formulaires (ici)

 Attention

La demande auprès de la CPIR ne sera valable qu’à la condition que le salarié n’ait pas démissionné de son emploi préalablement à la demande de conseil en évolution professionnelle.

Pôle Emploi sera amené à contrôler la mise en œuvre du projet de reconversion. En effet, la loi prévoit qu’un contrôle sera effectué au plus tard au bout de 6 mois de perception des allocations chômage de la réalité de la mise en œuvre du projet professionnel. Le cas échéant, si l’intéressé ne peut pas justifier, sans motif légitime, de cette mise en œuvre, il est radié de la liste des demandeurs d’emploi, avec interdiction de se réinscrire dans les 4 mois qui suivent. En parallèle, le revenu de remplacement est supprimé pendant 4 mois consécutifs.

NB : ce dispositif vient s’ajouter au cas de démissions légitimes déjà existants (déménagement pour suivre un conjoint, non-paiement des salaires, contrat de service civique, etc.).

Les cas de démission légitimes (ici)

Des conséquences lourdes, déjà pointées par l’Unedic 

Dans sa note d’impact du 24 septembre 2019 l’Unedic annonce en effet que la première année de mise en œuvre de la réforme parmi les 2,6 millions d’allocataires qui auraient ouvert un droit avec l’ancien dispositif, 9% n’ouvriront pas de droits et 41% verront leurs droits impactés. 

Pour en savoir plus : 

Retrouvez les chiffres qui comptent de l’Unedic (ici) 

Ainsi que sa note d’impact (ici)

Maxence DEFRANCE,
Juriste - Atlantes Paris/Ile-de-France

VRAI/FAUX

Comme chaque année, nombreux sont les CE, et aujourd’hui les CSE, qui se dirigent vers la distribution de bons d’achat et/ou de cadeaux pour les fêtes de fin d’année. La quasi-totalité des règles applicables à l’octroi de cadeaux et bon d’achat sont régies par l’Urssaf et il convient de s’y tenir afin de prévenir tout redressement.

Les bons d’achat et/ou de cadeaux ne peuvent être versés qu’à l’occasion des fêtes de fin d’année pour être exonérés de cotisations sociales

Il est possible d’en distribuer à n’importe quel moment de l’année, à condition que le montant global attribué à un salarié dans l’année civile n’excède pas 5% du plafond mensuel de la Sécurité sociale (169€ pour 2019). Toutefois, si le montant est supérieur, alors l’attribution du bon d’achat doit être en lien avec l’un des événements identifiés par l’Urssaf qui sont les suivants :

  • la naissance, l’adoption,
  • le mariage, le pacs,
  • le départ à la retraite,
  • la fête des mères, des pères,
  • la Sainte-Catherine, la Saint-Nicolas,
  • Noël pour les salariés et les enfants jusqu’à 16 ans révolus dans l’année civile,
  • la rentrée scolaire pour les salariés ayant des enfants âgés de moins de 26 ans dans l’année d’attribution du bon d’achat.

NB : le seuil de 5 % du PMSS est alors appliqué par événement et par année civile. Les bons d’achat sont donc cumulables, par événement, s’ils respectent le seuil de 5 % du PMSS. Cela correspond à 169 euros pour 2019 et 171 pour 2020. Un arrêté est attendu pour confirmer cette dernière valeur. 

Il est possible de différencier le montant du bon d’achat selon certains critères.

Ces critères sont librement déterminés par le CSE, mais ils ne doivent pas être discriminants. A titre d’illustration, un critère de modulation en fonction de la catégorie professionnelle des salariés (cadres/non cadres, par exemple) est considéré comme discriminant. A l’inverse, un critère de modulation en fonction du quotient familial est, au jour de la publication de cet article, admis par l’Urssaf.

Ces critères devront être connus des salariés. C’est pourquoi il est conseillé de mettre à leur disposition un « guide des activités sociales et culturelles du CSE » qui préciserait les bénéficiaires des ASC, les conditions d’octroi, les justificatifs à fournir, etc.

L’utilisation du bon d’achat doit être en lien avec l’événement pour lequel il est attribué.

Selon l’Urssaf, le bon d’achat doit mentionner soit la nature du bien qu’il permet d’acquérir, soit un ou plusieurs rayons de grand magasin ou le nom d’un ou plusieurs magasins.

Exemples :

  • Lorsqu’il est attribué au titre du Noël des enfants, le bon d’achat devra permettre l’accès à des biens en rapport avec cet événement tels que notamment les jouets, les livres, les disques, les vêtements, les équipements de loisirs ou sportifs.
  • Lorsqu’il est attribué au titre de la rentrée scolaire, le bon d’achat devra permettre l’accès à des biens en rapport avec cet événement (fournitures scolaires, livres, vêtements, micro-informatique).

Deux salariés de l’entreprise ont un enfant ensemble. Ils recevront chacun un chèque cadeau pour leur enfant (rentrée scolaire, Noël des enfants).

Le seuil de 5 % s’appréciera pour chacun d’eux, mais aussi pour chaque bon distribué à l’enfant lorsque l’évènement concerne ce dernier. 

Exemple : Noël des salariés et Noël des enfants

Un CSE souhaite octroyer un bon d’achat de 100 € par salarié et de 50 € par enfant. Deux salariés de l’entreprise ont un enfant commun. Il est admis que le CSE octroie à chacun des salariés un bon d’achat de 100 € pour le Noël des salariés, mais également à chacun d’eux un bon d’achat de 50 € pour le Noël des enfants, soit au total 100 € pour l’enfant.

Comme pour les bons de rentrée scolaire, c’est bien le montant de chaque bon distribué à l’enfant par salarié, soit 50 €, et non le montant cumulé, qui est apprécié au regard du seuil de 5% du PMSS.

 

Anissa CHAGHAL,
Juriste - Atlantes Paris/ Île de France

 

 

JURISPRUDENCE ATLANTES

L’article R.4613-11 du Code du travail disposait que le Tribunal d’instance statue en dernier ressort sur les contestations relatives à la désignation des représentants du personnel au comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail.

Avec la mise en place du Comité Social et Economique et corrélativement la disparition de l’instance qu’est le CHSCT, l’ensemble des textes applicables relatifs au CHSCT ont été abrogés.

Peut-on attribuer, selon le principe du parallélisme, le contentieux de la désignation des membres de la Commission Santé, Sécurité et Conditions de travail (CSSCT) au Tribunal d’instance ?

NON, a répondu le Tribunal d’instance de RAMBOUILLET, selon un jugement du 13 août 2019 estimant que :

  • il ne saurait être fait un parallélisme strict entre l’ancien Comité d’hygiène, de sécurité et des Conditions de travail et la nouvelle Commission Santé, Sécurité et Conditions de travail, dont les pouvoirs et les missions ne sont strictement pas équivalents,
  • et il n’a pas été prévu de nouvelles dispositions contentieuses spécifiques pour les contestations des désignations à la Commission Santé, Sécurité et Conditions de travail.

Le Tribunal en conclut qu’en l’absence de disposition légale ou règlementaire prévoyant la compétence exclusive du Tribunal d’instance sur une telle matière, le contentieux relève de la juridiction de droit commun, soit le Tribunal de Grande Instance.

 > Jugement du Tribunal d’Instance de Rambouillet N° 11-19-000377 du 13 août 2019

 

Kama MACALOU,
Avocat - Atlantes Paris/ Île de France

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Mise à jour :lundi 18 mars 2024
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